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L'AIPAD

Rencontre avec la photo d'art à New York

Textes et photos Bruno Chalifour


News de New York


Dimanche 12 février 2006. Réveil avec plus de 25 cm de neige (10 inches ici). Les sons sont étouffés, le trafic minimum. Traverser Park Avenue vous isole dans un nuage de flocons, seuls les feux de trafic du " bloc " ajoutent des touches colorées. Impossible de voir ceux du " bloc " suivant ! J'aurais du prendre un moyen format, Central Park va être alpin aujourd'hui !

Février est en quelque sorte le petit mois de la photo de New York. Évidemment ici c'est avant tout une affaire commerciale à laquelle concourent galeries et quelques institutions prestigieuses, à New York et aux États Unis-cette année le Metropolitan Museum, le MoMA de San Francisco, le musée des Beaux Arts de Houston (TX), indirectement le MoMA de New York

photographieDepuis 1979, date de la création d'AIPAD, l'association internationale des galeristes de photographie d'art, chaque année ses membres se réunissent et présentent un échantillon des œuvres de leurs poulains-une manifestation qui a inspiré Paris Photo. La cuvée 2006 présentait quelques 80 galeristes venus du monde entier. Si la majorité sont américains, fournissant un public essentiellement américain, on a pu noter des galeries européennes (France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, mais également, fait nouveau depuis près de trois ans, d'Europe de l'Est et d'Israël) et japonaises. Pour devenir membre d'AIPAD, il faut être parrainé par 5 membres et avoir respecté la charte de l'association pendant 5 années consécutives. Les principales caractéristiques de cette charte consistent à exercer son métier de galeriste honnêtement et respectablement ce qui consiste essentiellement en une totale transparence des informations relatives aux photographies (provenance, auteur, date de prise de vue et de tirage, identification du support et procédé, condition, sujet, prix), et faire de la vente de photographie d'art sa principale source de revenu. Le professionnalisme d'AIPAD a ouvert une porte à un galeriste de Los Angeles, Stephen Cohen, qui offre aux non-agréés, un automnal " Photo New York " depuis 2 ans- il organise aussi un Los Angeles Photo (janvier), San Francisco Photo et un Londres Photo (du 18 au 21 novembre en 2006). Il existe donc bien un marché de la photographie d'art aux États Unis, il est important comme l'atteste la centaine de galeries sur Manhattan seul, et ce depuis le boom de la fin des années 1970.

photographieÀ AIPAD 2006 qui a ouvert ses portes au public du 10 au 12 février à l'armurerie de la 67ème rue et Park avenue, le choix des tirages proposés est plutôt classique, sinon conservateur. Par comparaison, Paris Photo présente beaucoup plus d'œuvres contemporaines et plus de diversité également. Ceci est sans doute le fait d'un public américain plus averti et éduqué en matière de photographie historique, et d'une tradition photographique américaine plus ancrée et plus forte dans le domaine de la photographie d'art dont le paysage, surtout pour la période du XIXième, siècle semble toujours le sujet central. Après les Watkins, Muybridge, Bell, Fiske, O'Sullivan, et autres Jackson de la période suivant la Guerre de Sécession à la fin du XIXième, les Stieglitz, Steichen, Strand, Weston et Adams de l'Entre Deux-Guerres, les Nouveaux Topographiques des années 1970, une génération a émergé qui peut se définir en courants issus des productions de leurs prédécesseurs : pictorialistes (Kenna, et ses émules Citret, Schwab, Fokos et Horn, l'exceptionnel David Parker,…sans oublier Chris Carter-une affaire avec des tirages à $800-1 000), topographiques (retour des Baltz, Robert Adams, Becher, Gohlke, Shore, Southam,…), coloristes engagés soit écologiquement, soit politiquement (Norfolk, Burtynsky, Terry Evans, Hanson, et un petit nouveau dont un livre va sortir chez Steidl, Sze Tsung Leong…), expérimentalistes (voir les réflexions photographiques de Titarenko, ou Klett sur le concept de temporalité). À noter que les portraits extra-terrestres de Loretta Lux semblent avoir connu leur heure de gloire en 2004-2005 mais commence à lasser, la poésie humaine venue du froid de Penti Sammallahti confirme sa percée, représenté ici depuis 3 ans par la galerie Candace Perrich, devenue Candace Dwan, galerie où il signait dimanche 12 son tout dernier ouvrage, La Ville, sorti tout chaud de son imprimeur d'Helsinki deux jours auparavant.

photographieQuelques grosses étiquettes ont émaillé cette version 2006 : chez Janet Lehr (New York) une fleur en couleur de Mapplethorpe (SVP, les 2 " p " impliquent une prononciation " map-pole-thorpe ") à $85 000 (le procédé dye-transfer justifie le prix, je suppose), un Man Ray (" Head in Hands) à $250 000, un petit Walker Evans (" Mrs. Fran Tengle, Hale County, 1936 ") à $150 000 ; chez Howard Greenberg (New York), " Boy with Straw Hat " de Diane Arbus à $60 000, deux Steichen " Sunday Night on 40th Street " (palladium) à $190 000 et " George Washington Bridge " à $150 000 ; chez Floyd (New York) un simple photogramme de robe d'enfant à $95 000 ( ??!!) ; et évidemment, l'éternel Ansel Adams chez Andrew Smith (Santa Fe) avec " Clearing Winter Storm " à $275 000 et " Moonrise Over Hernandez " à $125 000 (pour ma part je leur ai préféré un paysage noir et blanc d'un arbre baigné de lumière rasante au flanc d'une colline californienne par Nicholas Pavloff pour un plus modeste $550).

La photographie française est sans doute des photographies étrangères, la plus représentée, avec Atget d'abord, évidemment (ses images ont depuis près de 40 ans amplement participé à l'éducation photographique américaine, ce grâce à Berenice Abbott et Julien Levy, puis John Szarkowski au MoMA de New York), mais aussi toute la tradition " humaniste " des Boubat, Doisneau, Ronis, de Magnum, images augmentées par celles des Brassaï et Kertész. Seuls Stéphane Couturier et Laurent Millet semblent défendre les couleurs des jeunes générations.

photographieLes prix semblent stagner tout en se maintenant par rapport à l'année dernière comme illustré, de façon anecdotique, certes, par la baisse des tirages de Cartier-Bresson dont le décès en 2004 avait accru la valeur marchande générale à $ 10 000/tirage à AIPAD 2005 et que l'on pouvait se fournir ici cette année à partir de $ 3 500- $ 6 000. Cette stagnation pourrait être confirmée par les ventes aux enchères commençant le 14 février à New York, dans le sillage d'AIPAD. Les estimations de la vente de Christie's sont étonnamment basses pour des tirages célèbres et de bonne qualité (ex. : un vintage de Lartigue, panoramique de Bibi à Londres pour $ 2 000-3 000). Cette vente sera suivie de celle de Sotheby's les 14 et 15 février (à des tarifs beaucoup plus proche de ceux d'AIPAD appliqués à des œuvres issues de la collection du Metropolitan Museum qui " dégraisse " ses archives après la toute récente acquisition de la collection de la compagnie papetière Gilman patiemment assemblée par Pierre Apraxine-lui aussi présent au mini-colloque sur les relations collectionneurs-musées qui se tenait au Metropolitan le vendredi matin 11/02), et enfin la vente de Swann's le 16.

photographieNotée à la fois dans une galerie sur la 25ième rue et à AIPAD, une nouvelle tendance a apporté un peu de fraîcheur à un marché quelque peu frileux [oui, ce fut un week-end blanc et froid sur la Grosse Pomme :) !]. Ce vent de fraîcheur vient de deux jeunes femmes, toutes les deux juste issues de leurs années de maîtrise en département des Beaux Arts. Le sujet est autobiographique, vernaculaire, rien de sensationnel, mais de l'authentique, une calme sensibilité poétique à l'état pur, rien de vraiment voyeur à la Goldin ou Grannan (sans parler de l'artificialité chronique et quelque peu écœurante de ces styles et de leurs sujets dans leurs réitérations à but commercial), rien qui puisse faire les pages jaunes de la presse à sensation ! L'une est New Yorkaise (entendez résidente de l'état de New York, côté campagne un peu paumée-sinon " pommée "), l'autre de Chicago, côte Est donc, et toutes deux sujettes à un début d'obésité et à un certain sentiment d'isolation. Mélancolie, solitude, fantasmes et vie tranquilles racontés en grands tirages couleurs, une photographie sensible et " vraie " par Tracy Baran (galerie Leslie Tonkonow à New York) et Jen Davis (galerie Lee marks à Shelbyville près de Chicago).

n marge d'AIPAD, New York c'est aussi quelques 120 galeries montant de la photographie. Une majorité de ces galeries ont migré ces trois dernières années de SoHo (sud de Houston Street) vers le nord ouest, le quartier de Chelsea, entre les 22 et 26ièmes rues et les 10 et 11ième avenues. Ces rues, lieux traditionnels d'entrepôts de marchandises, ont vu leurs bâtiments reconvertis en autant de galeries d'art. Espace et loyers plus modérés, ainsi que la perspective de déménager dans des locaux plus modernes ont converti la plupart des galeristes, exceptés ceux du sud de Central Park à la rencontre de la 5ième avenue et de la 57ième rue. Quelques peu nombreuses mais heureuses surprises s'offrent au flâneur en quête d'art photographique : comme mentionné plus haut Tracy Baran (22ième rue) bien sûr, mais aussi Fotosphere (511, 25ième rue ouest), une nouvelle galerie (3 ans d'existence) spécialisée dans les tirages aux platine et palladium dont les fleurons sont Koichiro Kurita, un maître, et son élève, Ryuijie. Une autre particularité de Fotosphere, c'est sa récente co-production avec l'atelier japonais Benrido, spécialisé dans l'impression de collotypes, d'un remarquable portfolio comprenant, entre autres les œuvres de Kurita et Ryuijie évidemment, mais également, Emmett Gowin, Eikoh Hosoe, Graciela Iturbide, John Pfahl, et Arthur Tress. A noter également un des tout récent projets de Robert Adams, près de 200 photographies noir et blanc dont l'exposition chez Matthew Marks (22ième rue) coïncide avec la parution du livre du même titre, Turning Back.

Enfin, pendant près de 40 ans, on ne pouvait parler de photographie à New York sans mentionner John Szarkowski alors directeur (depuis 1962) du département photo du MoMA. C'est encore le cas en 2006 où il apparaît en tant que photographe dans l'exposition phare du moment au MoMA : une photographie sensible, subtile et contemplative, moderniste en diable en noir et blanc et chambre grand format bien sûr (Ah, Deardorff quand tu nous tiens !). Cette exposition est rendue tout à fait légitime par la qualité photographique de la vision de Szarkowski, la maîtrise technique des tirages et la justesse et cohérence de la " mise en mur " des images (ce qui ne peut être dit de l'exposition que la galerie Pace/McGill lui consacre dans ses locaux sur la 57ième rue). Un livre catalogue John Szarkowski / Landscapes est aussi publié à l'occasion de cette exposition itinérante ; John Szarkowski était présent à AIPAD samedi après midi pour le dédicacer (voir photo).


Bien, il est temps d'arrêter cette chronique et d'aller photographier la neige à Central Park avant une dernière visite à AIPAD !  A bientôt, bons baisers de New York !

Bruno Chalifour

Ressources Web

Site Officiel AIPAD : http://www.aipad.com

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