Rencontre avec le Fotofest 2006
Photos et texte par Bruno Chalifour
Cette année Fotofest, "le" festival photographique des États-Unis fête son vingtième anniversaire. Créé en 1986 dans le sillage des Rencontres d'Arles et du Mois de la Photo à Paris, parrainé par ce dernier pour ses premiers pas, Fotofest est né de la volonté et du désir de deux photojournalistes internationaux, Frederick Baldwin et Wendy Watriss d'utiliser la photographie qu'elle soit artistique, engagée, documentaire, humaniste ou/et politique à des fins d'échange et de communication. Leur mission fut d'introduire la photographie en force dans le paysage texan (dont la réputation à l'époque le disait peu favorable aux arts) en basant leur travail sur une multiplicité d'approches. D'abord ils voulurent créer un festival international donnant à la photographie l'exposition qu'elle mérite dans un pays qui depuis longtemps la valorise - le fait que ce sont des photographies noir et blanc et non des reproductions de Renoir ou Van Gogh que l'on peut apercevoir sur les murs des appartements des sitcoms américains est un indice révélateur. Ensuite Ils décidèrent également de proposer au public les travaux d'artistes à mi-carrière qu'ils soient nationaux ou internationaux et donc promouvoir leurs carrières (l'accent a toujours été placé sur le caractère international du festival). A cette fin, dans le cadre de chaque Fotofest, ils créèrent un lieu de rencontres entre photographes et diffuseurs de la photographie, qu'ils soient galeristes, commissaires d'exposition, responsables de départements iconographiques. La qualité décidément humaniste et pédagogique qu'ils voulurent insuffler au festival s'affirme par l'utilisation de la photographie à des fins d'éducation sinon d'alphabétisation au sein des écoles défavorisées du Grand Houston (Literacy Through Photography dans 36 écoles de l'agglomération de Houston). Ce programme semble avoir été repris en Arles sous la nouvelle houlette de François Hébel (qui fut présent à Houston en mars) et François Barré.
Par le passé Fotofest a choisi des thèmes ambitieux et a publié des catalogues qui font date. Dès 1990, et ce après cinq années de négociations, le festival pu inviter 27 photographes d'URSS, de Tchécoslovaquie et Bulgarie. Expositions et artistes furent sponsorisés par le festival et une bourse Fulbright fut obtenue pour présenter leurs travaux dans plusieurs universités américaines. 1992 fut consacré à l'Europe et l'Amérique Latine, 1994 à la mondialisation, 1998 au Mexique, à la photographie de paysage italienne, à l'Afrique et surtout l'Afrique du Sud, 2000 à la Corée et à la photographie nordique, 2002 aux nouvelles technologies, 2004 aux problèmes relatifs à l'eau sur la planète et aux Etats-Unis, et enfin 2006 propose deux thèmes distincts : " La Terre " et " Les artistes répondent à la violence ".
Les expositions du festival, cette année comme pour ses versions précédentes, se décomposent en deux types distincts par leur financement mais complémentaires la plupart du temps quant à leurs préoccupations. Les œuvres de plus d'une cinquantaine de photographes sont exposées au sein des espaces régis par le festival qu'ils soient institutionnels ou privés. Musées, et galeries rivalisent avec anciens lieux industriels reconvertis en lieux pour artistes, ou même sièges de compagnies - nombreux à Houston qui comptait parmi ses partenaires économiques Enron, en ce moment en jugement pour faillite frauduleuse et abus de biens sociaux au tribunal local, et compte encore Halliburton En marge du festival, 82 autres lieux, privés ou associatifs, exposent de la photographie.
Cette année Fotofest à Vine Street Studio, l'espace où se trouve le bureau permanent du festival, ouvrait ses portes à la photographie internationale : la nouvelle photographie russe (AES+F et Sergey Bratkov), l'argentine Paula Luttringer (prix découverte de PhotoEspaña 1999), les français Yves Gellie et Liza Nguyen, le colombien Juan Manuel Echavarria, l'australienne Nathalie Latham, l'allemand Claudio Hils, l'irlandais David Farrell. Toutes ces expositions sont plus que " teintées " politiquement, un genre auquel les galeries et les lecteurs de revues photographiques américaines ne sont que très peu habitués (d'autant plus ces quatre dernières années). Le groupe AES+F exposait les images vues en Arles l'été 2004, des grandes photographies couleur dans lesquelles de jeunes adolescents habillés de T-shirt et shorts clairs posent dans des paysages lunaires, de science-fiction, armés de tubes d'aluminium qui eux ressemblent bien à des lance-missiles (ils sont même munis de gâchettes à cet effet). Les photographies sont des collages réalisés numériquement. Leur ambiance est pour le moins dérangeante. L'association d'enfants et l'apparence de publicité pour vêtements estivaux contrastent avec les armes d'assaut que les jeunes gens portent comme autant d'accessoires, et les paysages désertiques, d'après catastrophe nucléaire dans lesquels ils évoluent. Paula Luttriger est revenue sur les lieux de son enlèvement et de sa détention par la police de la dictature argentine des années 1970-80. Elle a aussi associé à son témoignage photographique les paroles d'autres femmes " disparues " puis réapparues comme elle. Yves Gellie montrait des images ramenées d'Afghanistan et d'Iraq, Nguyen du Vietnam. Echavarria s'intéresse aux disparus de la région de Medellin, David Farrell aux exécutés par l'IRA. Hils a obtenu de photographier l'hyperréel " village " où la police allemande s'entraînait à la guérilla urbaine. Nathalie Latham a obtenu l'autorisation de photographier un autre " village ", façon " Le Prisonnier " : ville n°65 qui a subi en 1957 l'un des plus gros accidents radioactifs de l'histoire de l'URSS, catastrophe qui vit la fermeture de la ville à toute personne étrangère et qui constitue encore aujourd'hui un laboratoire d'observation des effets génétiques de la catastrophe.
Fotofest avait aussi cette année investi des locaux industriels reconvertis en espaces pour artistes de Winter Street, une tactique qui procure des studios bon marché aux artistes et évite la no-man's landisation des friches industrielles tout en redonnant aux lieux une plus-value culturelle (en attendant que la zone ne se redéveloppe, période qui voit la montée des loyers…et l'éviction des artistes comme cela vient de se passer à Soho sur Manhattan). Le thème développé y était " La Terre " avec les œuvres de Heidi Bradner, Dornith Doherty, John Ganis, Jules Greenberg, Vadim Gushchin, Masaki Hirano, Noel Jabbour, Vesselina Nikolaeva, Hyung Geun Park, Peter Riedlinger, Mark Ruwedel, Martin Stupich et Barbara Yoshida.
Étaient aussi à l'honneur cette année, le prix des maisons européennes d'édition 2005 décerné en Arles l'été dernier à Harri Kallio. Un projet prenant pour héros fictifs les dodos de l'île Maurice, une série dont l'effet, pour qui a vu Ice Age, ne fait plus rire (au contraire). On peut questionner la valeur artistique ou tout simplement culturelle d'une poignée de dodos empaillés plantés dans des paysages divers : on nous a déjà fait le coup du canapé rouge voyageur ou du chien grimé à l'ennui. Après tout cela, le dodo endort de même que les carcasses rouillées et rouillantes décrites sans imagination par Eric Klemm ou les reproductions de cartes postales et de photographies de famille (personnelles ou trouvées) de Muriel Hasbun ou Angilee Wilkerson, autant de pseudo " ready-mades " ou collages rébarbatifs dont on nous a que trop rabattu les yeux !
Parmi la diversité des espaces participants mais non officiels on pouvait noter au Centre Jung un travail à la fois " autobiographique, géographique et métaphorique " d'un photographe local mais de réputation internationale, Geoff Winningham. Cette série débuta en 1982 par une visite rendue au village mexicain Mineral de Pozos devenu fantôme après la fermeture de ses mines. La relation particulière que Wininngham entretint ensuite avec Pozos, une relation essentiellement exprimée en photographies, se confirma lorsque sa femme et lui y achetèrent du terrain en 1999. L'intérêt du travail photographique de Winningham consiste en la cohérence du travail du photographe exprimant son attachement à un terrain et une nature marquée par le travail humain, une expérience déclinée en une variété de formats et de media. Parmi les moyens employés, le photographe offre une série de tirages sur aluminium dont le traitement esthétique n'est pas sans rappeler le récent Apples and olives de Lee Friedlander.
Comme à l'accoutumée, le festival offre un catalogue qui répertorie à la fois les espaces officiels et non officiels et dont le format rappelle celui du Mois de la Photo à Paris ou les Rencontres d'Arles. Houston depuis vingt ans offre aux États Unis son festival international, celui qui fait oublier la tendance souvent très nationaliste de la photographie (et culture) américaine. Fotofest est une bouffée d'éthique et d'humanisme dans un pays où ces approches ne semblent pas très porteuses sinon portées, du moins par la caste régnante. Le Texas ce n'est pas que la dynastie Bush, Enron et Halliburton, c'est aussi, heureusement Fotofest, un festival " extraordinaire " (en anglais dans le texte) dont les Texans peuvent être fiers.
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Bruno Chalifour