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Trafic de visas et exploitation de migrants en Terre Sainte


 

Trafic de visas et exploitation de migrants en Terre Sainte

16 janvier 2007, dans le village de Muga, région orientale du Népal, Man remplit les dernières formalités pour venir travailler en Israël. Pour obtenir son visa de travail légalement, ce pasteur de 36 ans s'est endetté de plus de 8 000 dollars auprès de ses voisins. Tout le village s'est mobilisé pour lui permettre de migrer. Une agence de recrutement lui a promis un visa pour travailler en tant qu’auxiliaire de vie en Israël pour un salaire de 600 dollars, soit 6 fois plus que le salaire minimum Népalais.

Dans l’espoir d’améliorer la qualité de vie de sa famille, il décide de quitter sa femme, enceinte de 8 mois pour rejoindre Israël, attiré par les belles promesses de l’agence de recrutement Népalaise. Pour lui, pas question de prendre le risque de passer par un service illégal rendu par les passeurs ; s’il émigre, ce sera légalement, avec un contrat de travail en règle. « Tout était organisé par l’agence. Le voyage en avion, ma réception dès mon arrivée à l’aéroport, mon visa, mon employeur. Je devais travailler 2 ans pour rembourser mon emprunt, et profiter des 3 années restantes pour envoyer de l’argent à ma famille».

Mais à son arrivée à l'aéroport Ben Gurion, il déchante vite quand personne ne vient le chercher ; l'agence de recrutement l'a abandonné.

Les victimes du visa volant

Comme près d'un migrant sur deux arrivant avec un permis de travail en règle sur le territoire Israélien, Man a été victime du trafic d'êtres humains qui profite à de nombreuses agences privées, à des intermédiaires et à certains hommes politiques Israéliens. On les appelle les « flying visa ».

A leur arrivée, l'agence ne répond pas au téléphone ou ils s'entendent dire que leur employeur n’a plus besoin de leur service. Ils deviennent alors illégaux, déportables. Commence alors pour eux la descente aux enfers. Ecumant les dizaines d'agences de recrutement de Tel Aviv, c'est en vain qu'ils parviennent à trouver un employeur.

L'argent facile motivant les agences à importer le plus de nouveaux migrants possibles, la main d’œuvre disponible sur place est très peu utilisé. Car en Israël, le permis permettant « d'importer » des travailleurs migrants vaut de l'or. Pour un seul visa, les agences peuvent faire venir jusqu'à 10 travailleurs et utiliser cette licence pour s'enrichir. Bien que la loi autorise des frais de courtage d'un montant maximum de 3050 shekels – ce qui équivaut à 750 dollars – les migrants payent, en réalité entre 3 000 et 25 000 dollars. En quête d'une vie meilleure, ils n'hésitent pas à hypothéquer leur maison, et à s'endetter auprès de leurs familles, voisins ou même des banques en l'échange d'un visa de travail qui – ils le pensent- leur permettra de travailler pendant 5 ans sur le territoire Israélien.

Le processus d'importation est simple et peu onéreux. Le gouvernement autorise chaque année un certain nombre de visas aux agences. Les personnes qui souhaitent employer des travailleurs étrangers n'ont qu'à en faire la demande auprès d'une agence de recrutement agrée par le ministère de l'industrie, des affaires et du travail ainsi que du ministère de l'Intérieur. Les Chinois et les Roumains sont importés pour la construction, les Thaïlandais pour l'agriculture, et environ 54 000 Indiens, Népalais et Philippins pour le secteur ou le trafic est le plus dense; les auxiliaires de vie.

Selon S, propriétaire d'une agence Manpower « il n'y a pas d'entrée sur le territoire d'un travailleur migrant sans que cela n'implique de l'argent ».

L'importation de travailleurs migrants et le traitement qui leur est réservé forment un tableau disgracieux d'avidité et de malhonnêteté.

Dans les années 2000, la Terre Sainte a été submergée par des migrants illégaux. Ou plutôt par des migrants que l'on a rendus illégaux. Accusés d'être responsables de la hausse du chômage, le gouvernement a adopté une attitude paradoxale vis à vis de ce groupe de travailleurs : Ces étrangers, que l'on invite à migrer en leur octroyant des visas sont ensuite stigmatisés et tourmentés par la police de l'immigration renforcée cette année par la création de l'unité spéciale « Oz » chargée de la déportation des étrangers.

« D'un coté, le gouvernement inonde le marché avec un trop grand nombre de travailleurs, puis sabote leur chance de trouver un emploi et de l'autre coté, il organise leur expulsion » nous explique Sigal Rozen, coordinatrice des relations publiques de l'association Hotline for migrant workers dont le combat est de défendre les droits des travailleurs migrants en Israël.

C'est cette police de l'immigration qui a arrêté Man et une vingtaine d'autres travailleurs le 1er juillet 2008, lors d'une des nombreuses descentes dans la zone d'habitation des migrants, près de l'ancienne gare de bus. A Levinski Parc, ils vivent dans l'angoisse permanente des contrôles d'identité et des arrestations pouvant survenir à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. 15 migrants partagent une cellule minuscule, sans lit, sans intimité, sans aucune hygiène élémentaire, et pourtant, nous explique Man, il est plus sage de taire ses maux et infections par peur d'être expulsé plus rapidement encore. Quel est donc l'irréprochable crime commis par ces migrants pour expliquer de tels agissements ? Celui d'avoir été trop naïf de croire aux belles paroles des agences et de leurs intermédiaires, ou encore celui d'avoir rêvé d'offrir une vie meilleure à leur famille ?

Nous rencontrons Man le lendemain de sa libération, dépassé par cette année d’incarcération. « Je suis resté en prison pendant 1 an et 10 jours. Nous ne sommes pas des assassins, ni des terroristes. Pourquoi nous enferment-ils ? »

Dans son minuscule appartement ou s'entassent 17 migrants Népalais, hommes et femmes, sur des matelas éparpillés sur le sol, il célèbre son premier office en compagnie de ses « sœurs » qui travaillent toutes comme auxiliaires de vie. Tout comme Pierre, qui dans la Bible a été arrêté et emprisonné par le roi Hérode et libéré par un ange du Seigneur, Man priait toutes les nuits pour qu'on lui vienne en aide « Le Seigneur m'a envoyé un ange pour me libérer » Cet ange, qu'il remercie à plusieurs reprises, c'est l'association Hotline, grâce à laquelle il a été libéré. « C’est un succès immense  -nous avoue joyeusement Sigal- mais ça n'arrive pas souvent; On perd la plupart d'entre eux. »

Pendant le pic de déportation de 2003, 21 000 travailleurs ont été déporté pendant que 31 000 entraient sur le territoire légalement.

Travail ou esclavage ?

Pour ceux qui ont la « chance » d'avoir effectivement un employeur, les conditions de travail sont souvent proches de l'esclavage. Car même avec un visa de travail en règle, leur légalité dépend entièrement de leur employeur, ce qui entraîne des conditions de vulnérabilité et de dépendance. Par peur de perdre leur emploi, et donc leur légalité, les migrants acceptent toutes les conditions.

Beg, lui aussi Népalais en a terminé avec Israël. Voilà 5 ans et 2 mois qu'il travaille comme agriculteur dans le kibboutz En Habesor dans le sud ouest d'Israël. Aujourd'hui, il porte plainte contre son employeur pour non paiement d'un mois de salaire auprès de Kavlaoved. Chaque jour, les bénévoles et salariés de cette association d'aide aux travailleurs migrants enregistrent des dizaines de plaintes.

En Israël, pour les travailleurs migrants l'injustice, l'angoisse, l'affliction sont des sentiments ordinaires. Derrière chaque migrant se cache une histoire accablante. Le cas de Beg n'est malheureusement pas un cas exceptionnel. Non paiement de salaire, absence de jour de congés, heures supplémentaires non rémunérées, mauvais traitements, rétention de passeport ou de carte de sécurité sociale, ils sont nombreux à subir ces abus.

Sur des petits carnets, Beg a retranscrit avec précision ses heures de travail ainsi que son salaire, mois après mois, durant ces 5 dernières années. Opérationnel dès le lever du soleil à 5h50, il travaille souvent jusqu'à 21h sous une température avoisinant les 45° en été pour semer et récolter des tomates, des melons, des poivrons, qui seront vendus sur le marché européen.

« Sans ces travailleurs migrants, l'agriculture Israélienne ne tournerait pas. Aucun Israélien ne veut travailler la terre; trop difficile, surtout sous cette chaleur » nous informe B. employeur d'une dizaine de migrants dans une communauté agricole à la frontière de la Jordanie. En effet, si l'agriculture fonctionne encore c'est parce que ces migrants acceptent des conditions de travail inhumaines: Entre 10 et 15 heures par jour, 7 jours sur 7 pour un salaire misérable.

Bien que la loi parle d'un minimum de 20,70 shekels de l'heure (5 dollars de l'heure) Beg n'était payé que 3 dollars. Lorsqu' Irit, employée de Kavlaoved responsable de son dossier appelle son employeur pour l’inviter à payer ce qu'il lui doit avant d'engager des poursuites contre lui, il lui présente ces excuses. « He is my best man you know ». Son meilleur employé, on n'en doute pas, mais qui n'ose pas remettre les pieds dans ce kibboutz pour récupérer ses affaires, par peur des représailles de son patron, qui lui avait déjà confisqué son passeport pour restreindre ses déplacements.

La barrière de la langue, la méconnaissance de leurs droits, l'éloignement des centres urbains, font des travailleurs agricoles des proies faciles et silencieuses.

Leurs conditions restent cependant « meilleures » que Man et ses milliers d'autres travailleurs devenus illégaux à leurs dépends. L'angoisse de se faire arrêter, de ne pas trouver de travail, la pression due aux sommes astronomiques qu'ils doivent encore rembourser poussent certains migrants à se suicider. Pinto, d'origine Indienne, a lui aussi fait les frais de ce trafic. Trahi par son agence de recrutement, il a tout de même réussi à trouver un employeur, qui, atteint de cancer, décède le mois suivant entraînant l'annulation de son visa. Il fait ensuite appel à un avocat frauduleux qui lui demande 4 000 dollars pour récupérer un nouveau visa et qui disparaît avec la somme. « J’ai payé 9 000 dollars pour mon visa, ils m'ont tous dupé, je demande juste qu'on me laisse travailler. Si je dois rentrer avant d'avoir pu rembourser la somme que j'ai emprunté, je me suiciderai, je n'ai pas d'autre alternative.» Car avec le salaire qu’il gagne en Inde, la période de remboursement de sa dette sera sans doute plus longue que sa propre vie.

En 2009, le nombre de permis distribué par le gouvernement a augmenté de 19% selon un communiqué du journal Israélien Ha'arretz. Il est passé de 45 800 à 54 000. Selon Ran Cohen, directeur du comité des travailleurs migrants, on parle de plus de 15 milliards de dollars de bénéfice au dépend des migrants; Achats de permis, délivrances de licences, pots de vin, corruption, les agences organisées en cartel profitent de l’absence d’application des lois Israéliennes, pour profiter des migrants, avec l’accord tacite du gouvernement.

Celles et ceux qui tentent de mettre fin à ce trafic sont rapidement exposés à des menaces. Quant à nous, lors de notre dernière soirée dans le parc Levinski, où migrants, demandeurs d'asile, membres de la police d'immigration en civil, agents des agences de recrutements et intermédiaires se côtoient, on nous fait clairement comprendre que nos questions et enquêtes ne sont pas les bienvenues par ici.

A l'aéroport Ben Gurion ce 22 août 2009, d'autres migrants arrivent d'Inde, de Thaïlande, de Chine. Certains d'entres eux attendent qu'on vienne les chercher, en vain. Au centre de déportation de l'aéroport, d'autres sont en attente d'expulsion. Ils sont déjà 3 000 à avoir été renvoyés dans leur pays cette année.

La lutte contre le trafic d’êtres humains en Israël n’en est qu’à ses prémices. Seulement quelques associations et activistes s’intéressent au sort des migrants et malgré leur bataille sans relâche pour faire valoir leurs droits, leurs vois sont encore trop faibles pour permettre un changement durable de la situation des travailleurs étrangers. Il est essentiel de tirer la sonnette d’alarme et de faire cesser ces agissements honteux dans ce pays qui se veut démocratique et respectueux des droits de l’Homme.

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Texte et photos par Mélanie Rouffet

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Au service de la photographie depuis 2001