Bruce W. Talamon, Funk you !
(Né le 31 juillet 1949)
« Je vous parle d’un temps, que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître », et encore… plus loin encore, les moins de 40 ans. Le temps de la Soul, de la Funk, du Rythm and Blues, de l’âge d’or de la musique endiablée.
Los Angeles, Juillet 1949 – Le petit Bruce Wayne (pas Batman, un autre) naît le 31 juillet. Il sera l’ainé des deux garçons qui feront le bonheur de James et Clélie Talamon, jeune couple afro-américain.
Déjà, remettre les choses dans leur contexte…
La situation pour les Noirs aux USA, dans les années 50, et encore plus dans la très conservatrice ville de Los Angeles, est plutôt critique. Le jeune garçon a tout ce qui déplaît à la société blanche américaine : La peau fortement colorée, les cheveux crépus, les traits africains, les yeux foncés et malicieux et sans doute un goût prononcé pour le rythme de cette nouvelle musique qui commence à sonner un peu fort dans les ghettos.
Dans la ville des anges, la communauté minoritaire est essentiellement autorisée à vivre dans deux grands quartiers déshérités, Compton et Watts, là où les loyers frisent l’indécence pour l’état des logements proposés, dans un pays où l’accès aux restaurants, aux transports, à l’éducation, est réservé à l’élite majoritaire à la peau blanche. Alors la contestation gronde, le feu couve, tout doucement.
Pas étonnant que le jeune Bruce se destine dans un premier temps à être avocat, et étudie les sciences politiques au Whittier College en Californie, traversant les frontières de plusieurs pays étrangers, jusqu’en Allemagne où il achètera en 1970 son premier boîtier, un Asahi Pentax, et devient mordu. Après son diplôme pourtant, il choisit de laisser tomber le droit et décide de se lancer dans la photographie. Une proposition de travail en 1972 durant le Watts Summer Festival va le propulser à la vitesse des stroboscopes sur les scènes funk, soul et disco qui commencent à faire parler d’elles. Cette carrière d’avocat, qui ne verra jamais le jour, se transforme par l’image en une sorte de plaidoyer politique pour les droits des minorités, et commence par un concert. Cette première édition, organisée par Stax Records, est donné en 1972 en hommage aux victimes des émeutes du quartier pauvre de Watts à L.A, pour rappeler que le quartier fut violemment secoué du 11 au 17 août 1965 suite à une altercation entre une famille afro-américaine et la police blanche de la ville. La rébellion se soldera par 34 morts. Un passe illimité aux coulisses lui permettra de côtoyer les plus grandes pointures du mouvement musical qui monte. Marvin Gaye, Al Green, The O’Jays, Chaka Khan, etc, la nouvelle scène soul et funk, par son effervescence, rappelle au peuple américain que la communauté afro, est en lutte pour sa liberté. On ne sait pas très bien si le terme « Funk » veut dire « forte odeur » ou « se trémousser », quoiqu’il en soit, l’abandon au rythme, enclenche une véritable révolution musicale en même temps qu’un mouvement racial : elle donne le tempo de la soif de liberté et d’égalité qui sort des ghettos urbains et révolutionne l’Amérique blanche. Entre le problème d’une guerre au Vietnam qui s’enlise et la grogne pour les droits des minorités, c’est la vibration des voix et des corps qui se soulèvent. Pour Bruce, la première véritable photo qui scella son destin est un portrait d’Isaac Hayes. Les portes du magazine Soul Newspaper s’ouvrent à lui. Son boitier en bandoulière, il suit les artistes sur scène, dans l’intimité des coulisses, dans leur quotidien parfois. Un formidable témoignage de la vie trépidante d’un musicien en tournée avec des clichés qui retransmettent la frénésie endiablée de rythmes métronomiques et sexuels à l’image de toutes les révolutions croissantes des années 70. La sensualité d’une Donna Summer, le déhanché d’une sex machine nommée James Brown, les concerts mythiques du groupe Earth Wind & Fire, le funkadelic Bootsy Collins, et plus tard le non moins célèbre Bob Marley ; tous les acteurs de la nouvelle musique qui fait frémir de peur la société américaine sont là, en première ligne. Les plus grandes stars. En 1974, Motown Records l’intègre comme photographe publicitaire et éditorial pour son catalogue d’artistes. Suivront CBS Records, Jet, Ebony et Black Star pour quelques collaborations. En 1982, devant la nouvelle politique de rachats des photos avec laquelle il n’est pas d’accord, il met fin à son travail pour les magazines et maisons de disques, et se tourne vers la télévision et ses séries florissantes. Chez ABC, il apporte son talent de photographe de l’action sur les tournages de Laverne & Shirley, Taxi, Charlie’s angels ou de l’émission American Brandstand ; la musique n’est plus vraiment là mais l’ambiance lumineuse du Black Power persiste. Pour l’émission Soul Train, les corps sont là et on danse pour la télé, « la Funky Chicken » de Rufus Thomas. Photographe de plateau encore pour le cinéma, il pose sa touche sur de nombreux films à la lumière étudiée : Blue Thunder, Staying Alive, The Golden Child, Space Jam, Blade, Abduction, Indiana Jones and the last crusade, etc, étalant son professionnalisme des années 90 à nos jours. Toujours très engagé politiquement, il a couvert, quelques primaires et la course à la présidence du révérend Jesse Jackson en 1988, puis photographe politique pour Times en 2009, il suit Barak Obama.
Ainsi, Bruce W. Talamon, photographe afro-américain, réussit, par son témoignage sur les années de gloire de la musique Soul, Funk et R’n’B des années 70 jusqu’aux années 80 environ, à nous rappeler le combat difficile des droits de la population noire. Né peu avant le mouvement lancé pour l’application de la « discrimination positive » en faveur des droits des femmes et des minorités ethniques - initié en 1961 par Kennedy – il montre que l’abolition de la ségrégation raciale et la lutte pour les droits civiques, peuvent aussi passer par la musique. Il nous livre un riche témoignage de cette dure époque. Pour ceux qui veulent replonger dans l’univers de la Great Black music américaine, je vous conseille fortement son livre phare, Soul, R&B, Funk 1972-1982 (Editions Taschen), qui rassemble près de 300 photos de ses plus belles années.
Immersion totale garantie.
Par RoxtheRho
Journaliste Photographe
https://twitter.com/RoxtheRoh
« La photo de concert est un art délicat, il faut jouer avec le «live», la lumière, l’émotion de l’artiste. Le formidable travail de Talamon nous permet d’approcher les plus grands artistes Soul au plus près des paillettes. »