Leïla Ghandi
http://www.leilaghandi.com
Par : Frédéric Brizaud
Ce mois-ci nous vous proposons une rencontre étonnante avec Leïla Ghandi une jeune baroudeuse comme on n'en fait plus. Au delà de ces talents de photographe et d'écrivain, Leila a ce rare talent de nous faire aimer le monde tel qu'il est.
Vous avez le voyage dans la peau puisqu'à 25 ans vous avez déjà presque fait le tour du monde. D'où vous vient ce besoin de voyager ?
J'ai toujours voyagé. Petite, avec mes parents et mon frère, on partait tous les ans quelque part, jamais dans des groupes organisés. Une carte du pays à la main de ma mère, une voiture entre les mains de mon père, et mon frère et moi, à l'arrière. J'ai été initiée très jeune au goût de l'aventure, de la découverte, et à la débrouillardise. A 15 ans, j'ai fait mon premier voyage seule, d'abord en Europe, puis l'Australie, la Thaïlande. Le voyage a toujours fait partie de ma vie. Je ne me suis jamais réveillée un matin en me disant " Ah tiens j'aimerais bien voyager ", ça a toujours fait partie de ma vie, de mes projets, de mes envies. Une graine que mes parents ont semée et que j'ai moi-même cultivée au fil des années. Souvent certains s'aventurent à me demander : " Mais qu'est-ce que tu fuis comme ça ?! ". Je souris. Je ne fuis pas. Au contraire, je me rapproche. Je me rapproche de moi-même, de ce que je suis, de ce que serai, et de ce que je dois être. Parce que voyager, partir, c'est aller vers l'Autre, que cet Autre soit un homme, un paysage, un arbre, une pierre, une culture, une croyance... C'est découvrir l'Ailleurs, pour mieux se rendre compte, mieux comprendre de quoi nous sommes fait et qui nous sommes réellement. Voyager, ce n'est pas seulement découvrir les autres, c'est aussi, et peut-être même surtout, se découvrir soi-même. C'est donc pour moi à chaque fois une merveilleuse aventure, pleine de surprise, pleine d'émotion, et pleine de Vérité.
Vous allez prochainement publier votre carnet de voyage sur votre séjour en Chine dans lequel vous racontez votre expérience, avec d'ailleurs beaucoup d'humour. En quoi la Chine vous a-t-elle le plus marqué?
La Chine m'a marqué, et elle continue à me marquer. Chaque jour passé là-bas était source constante d'étonnement. Intarissable. Chaque coin de rue, chaque train, chaque repas, chaque conversation... Tout. Je pense qu'en réalité, il n'y a rien eu qui ne m'ait pas marqué. Quand on parle de dépaysement total, l'expression est à comprendre littéralement. Rien n'est pareil, et il faut savoir s'adapter. Savoir respecter, et peut-être, si on se donne le temps, essayer de comprendre. (C'est aussi une des raisons pour lesquelles je privilégie le long voyage en immersion à l'escapade de deux semaines: parce que seul celui-là nous autorise à regarder de plus près, à nous interroger, et à véritablement chercher des réponses).
Mis à part les contrastes culturels qui, quasi-systématiquement, débouchent sur des péripéties surréalistes, et que vous aurez peut-être l'occasion de lire dans mes " Chroniques de Chine ", je pense que si je ne devais retenir qu'une seule chose de la Chine, c'est ça : la Chine n'est pas un pays, c'est un continent. L'Empire du Milieu. L'intersection de cultures, de religions, de langues toutes différentes les unes des autres. Au Nord, les Chinois ressemblent à des Mongols, les portraits de Mao laissent la place à ceux de Ghenjis Khan, et les chevaux galopent librement dans Gobi ; au Sud, les Chinois ressemblent à des Vietnamiens, cuisinent différemment leur poulet, et les femmes s'affairent dans les rizières ; à l'Ouest, les Chinois ressemblent à des Afhgans, sont musulmans radicaux, et leur terre est aussi aride que les déserts Ouzbèques ; au centre, ce sont les Chinois que nous connaissons tous. De bus en bus et de train en train, on peut constater, à l'oeil nu, les changements de décor. Et on sait qu'avec ce décor là, changent aussi les croyances et les modes de vie. Et ça, c'est impressionnant.
Qu'est-ce que la photographie vous apporte en plus de vos écrits?
Et qu'est-ce que mes écrits m'apportent plus que la photographie?...
J'écris depuis que j'ai appris à écrire. Je photographie depuis que j'ai appris à regarder. Je pense qu'il faut plus de temps pour apprendre à regarder. Tout le monde voit, mais tout le monde ne regarde pas forcément. La photo est le support de ce qui n'a pas de mot.
La photographie est pour moi un acte d'amour. Amour pour un moment, un regard, une expression, une scène de vie, un acte impulsif, comme pour témoigner. Témoigner de l'existence, de la présence de ce qui aura suscité en moi ce sentiment. La photo témoigne de l'Autre, les écrits témoignent de soi-même. Ce sont pour moi deux choses complètement distinctes, et desquelles je ne peux me passer. L'une comme l'autre se suffit à elle-même, mais c'est en les combinant que pour moi elles prennent tout leur sens. J'ai besoin des deux.
Vous avez obtenu un diplôme de marketing à Sciences-Po et pourtant vous avez choisi le sac à dos plutôt que le sac Vuitton. Pourquoi ce choix?
C'est vrai qu'il aurait été sans doute plus logique que je sois aujourd'hui responsable marketing, ou que je continue à être chargée de mission en relations internationales pour la Chambre de Commerce. Mais ce que je fais aujourd'hui est le fruit de plusieurs années d'introspection, de chemin. Je connais ma voie depuis longtemps, et j'ai décidé de la prendre. Donner à mes rêves et convictions les moyens d'exister. Laisser de côté le confort et la sécurité matérielle pour m'adonner entièrement à mes passions. Je sais que mon épanouissement personnel et professionnel passe par là. Etre reporter-photographe est le point de convergence de trois choses fondamentales pour moi : le voyage, l'écriture, et la photo.
Et puis voyager sac au dos, c'est s'offrir cette liberté. Cette liberté de ne choisir sa destination que lorsque vient l'heure de prendre le train. Cette liberté de n'avoir sur soi que trois t-shirt et deux pantalons. Cette liberté de rester deux jours de moins ou deux mois dans plus dans une ville, parce que l'envie, ou notre bienveillante intuition, nous l'aura fait comprendre. Cette liberté de se savoir libre, véritablement. Se laisser aller, au gré des rencontres et des conseils de routards. Voyager sac au dos, c'est un état d'esprit. C'est cet état d'esprit que quelqu'un a quand il se donne le temps. C'est se donner les moyens d'être plus à l'écoute, d'avoir les sens plus en alerte, et d'être plus ouverts aux signes qui nous entourent, et à leur beauté.
Les rencontres, les trains surchargés, le manque de confort, le petit vieux qui s'endort sur mon épaule, le rire des enfants, les paysages, les sourires, les larmes, l'euphorie, la crainte, le risque, l'adrénaline, la découverte, l'Histoire, les expéditions, les jeeps, l'Himalaya, la cordillère des Andes, la Grande Muraille, Machu Pichu, les steppes, Iguazu, les déserts, Uyuni, Torres del Paine, le lac Baïkal, la Sibérie, Ushuaïa, le camping, les sentiers pas battus, l'altitude, le Jokhlang, Pacha Mama, les prières, les cathédrales, les temples, les monastères, les mosquées, les églises, les synagogues, les chiliens, les péruviens,les mongols, les boliviens, les chinois, les tibétains, les argentins, les russes, les polonais, les tchéks, les arbres, les pierres, les chiens, les chevaux, la communication, les altercations, l'échange, le soleil, la chaleur, les moustiques transgéniques, les nuits trop froides pour réussir à s'endormir sous la tente, les chants au coin du feu, les rires, le kung fu, les routards, le sac à dos trop lourd, les auberges de jeunesse, les vols de mes appareils photo et caméra, les écrits qui disparaissent, les souvenirs qui restent, les balades en bateau, les bus ratés, le stress, le speed, les amis que l'on croise, les autres que l'on perd, les coups de blues, la solitude, les musiciens centenaires du pont Charles, le jazz des années 20, les karaokés pékinois, les rizières, les insectes dangereux, les cybercafés qui nous rattachent au monde, les nuits sans sommeil, le ciel étoilé de Terelj, les nouilles lyophilisées, la purée en poudre, le riz aux oeufs, le Tian Cha, l'eau des rivières, le lait fermenté de jument, la vodka, le baïjo, les chapatis, la sagesse des tibétains, la lumière des temples, le respect, la tolérance, l'acceptation, la simplicité, l'apprentissage, l'épanouissement, le dépassement de soi, l'émerveillement, les yeux qui brillent, l'humilité, les au revoirs, les adieux, les aspirations, les doutes, les certitudes. Je vis ces choses là tant que je peux. Et ces choses là, je pense, ne peuvent se vivre quand on a un sac Vuitton au bout du bras.
Quel est votre prochain projet de voyage ?
J'ai beaucoup de projets, beaucoup de rêves. Et si on a des rêves, il faut leur donner les moyens d'exister... Alors j'ai des projets plein la tête, à peine revenue je pense généralement déjà à la prochaine aventure. Un tour du monde est en prévision. Une année environ. Sac au dos, appareil photo, stylo, et caméra. J'ai déjà mon itinéraire noté sur mon map monde.
Mais il est possible qu'avant cela, j'aille quelques mois en Thaïlande, le temps d'y vivre un peu, d'écrire mon roman, et réaliser un projet photographique. Pourquoi la Thaïlande ? Parce que ce pays à été mon premier coup de coeur avec l'Asie, et que j'ai envie de retomber quelques instants dans les bras de ce premier amour.
Chronique par Frédéric Brizaud
Site : www.photophiles.com
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