- Découvrez tous nos cours photo sur cours-photophiles.com et en vidéo sur notre chaine YouTube !

Récit fantastique

 

La conversion amorale de frère Alain

Par : Xavier Braeckman

un

Une chape de brouillard givré étouffait la Terre anesthésiée par le froid et la glace. Tout, sur des lieues alentours, se figeait, enfermé dans le blanc laiteux du froid. Le vent charriait ça et là les quelques bribes de chemin plaquées par le givre.

La glace, le froid, le vent, le brouillard.
Depuis combien de jours la silhouette évanescente de ce voyageur n’avait-elle eu comme interlocuteur ses seuls compagnons de route ?

Combien de jours alourdissaient ses pas qui n’arrivaient à marquer son sceau dans la dureté de la glace ?
Combien de paroles de lutte, de souffrance, de désespérance s’étaient-elles élevées dans ces limbes muettes et grises des brumes de cette terre là ? Portées, inutiles, vers le néant par le souffle glacé de janvier.

Lacrimosa dies illa
Qua resurget ex favilla
Iudicandus homo reus :
Huic ergo parce deus !
Pie Iesu domine
Dona eis requiem

Telles avaient été les litanies psalmodiées par les gueux, saltimbanques et autres mendiants sans terre ni racine rencontrés en chemin. Un signe de croix rapidement dessiné sur le torse pour se prémunir du Malin.

Car ce voyageur ne pouvait être volé,
il semblait plus pauvre que le plus pauvre des serfs.

Car cet étranger semblait vous demander la protection de Dieu
Bien qu’il semblait errer pour le bien de l’Homme
Et pour la gloire de Dieu

Bam bam bam.

Le martèlement du fer sur l’huis massif de la Citadelle résonne dans le brouillard.
La silhouette du voyageur s’est enfin arrêtée, elle piétine le sol et souffle dans ses mains.
La lourde porte grince sur ses gonds et laisse passer un souffle, voix anonyme cachée par toute la force sereine du bâtiment de pierre.

Quo vadis ?

- c’est moi, frère Alain, je rentre de mon pèlerinage à l’Abbaye de Clugny
- Au nom du Très Haut, frère Alain ! Ah ! Ça alors, c’est moi, frère Jean !

Les deux jeunes clercs s’embrassent chaleureusement, frère Alain s’engouffre dans le patio du monastère où il retrouve enfin la sécurité des pierres et plus encore que l’imposante masure, c’est la force commune de la Foi qu’il redécouvre en ce lieu.
Après les doutes de l’errance et les épreuves du voyage, frère Alain retrouve les certitudes du groupe en la personne de son compagnon de chambrée.

- Quel plaisir de te voir, frère Alain, nous te croyions mort ou perdu à jamais dans les limbes du Malin ! Tu devais rentrer pour les vendanges et nous sommes maintenant au cœur de l’hiver. Que t’est t’il arrivé ?
T’es-tu perdu ? Quand ?
Et où ? Et depuis lors où as-tu été ? As-tu voyagé seul ?
Et qui as-tu rencontré ?
Ah ! Alain, mon frère, que je suis content de te retrouver, tu as tellement de choses à me raconter, parle, je t’en pris parle.
La vie est si morne ici bas. Enfin…
Frère Jean se signe rapidement, la tête abaissée en signe de contrition, les yeux épiant les alentours, guettant l’oreille indiscrète d’un maître, toujours prêt à reprendre le novice.

- Bien sûr, il est nécessaire pour la Contemplation du Très Haut de respecter des règles d’une grande rigueur, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…mais tout de même… cela fait vraiment plaisir de te revoir.
Ah allez ! Montre-moi ton visage que je puisse te contempler dans la grâce de cette belle matinée, arrête de te cacher derrière ta robe et montre moi ce visage devenu celui d’un érudit, à moi qui l’est vu enfant !
C’est l’érudition acquise dans notre Sainte Abbaye de Clugny qui te rend si peu…
Mon Dieu, mais…tu…tu as… changé Alain, oui, changé, tes traits, tes yeux, c’est…comment dire ? Une flamme froide…quelque chose de…
Euh…bon, peut-être en as-tu marre de mon babillage de jeune sot et veux-tu tout simplement te retrouver en paix. Veux-tu prier ? Les mâtines, hélas ! Viennent de s’achever, mais peut-être…peut-être en attendant les laudes pourrais-tu…prier ? après un long voyage qui semble t’avoir tant éprouvé…
- Tu as raison, Jean, mon frère, je suis éreinté et après toutes ses journées d’errance et de méditation silencieuse, eh bien, oui, je le concède ton flot de paroles me soûle un peu. Mais je t’en prie, ne t’excuse pas car s’il me soûle c’est à la façon d’un doux nectar qui tourne la tête de l’homme pénitent.
Après un long jeûne boire du vin est un délice, mais le corps, encore vide, ne peut supporter un tel breuvage. Voilà l’effet apaisant que procure en mon âme ton bavardage.
Je te remercie, frère, mais je ne souhaite rien tant que retrouver ma cellule monacale pour m’y ressourcer et méditer sur la grandeur de Dieu.



« - …et tu dis l’avoir vu ce matin après matines et que depuis lors, il n’est pas ressorti de sa cellule, qu’il n’a prévenu personne de sa présence, qu’il ne s’est pas nourri, qu’il n’a pas bu enfin quoi, qu’il est resté volontairement plus de douze heures du jour seul enfermé en pénitence dans ce…
- Dans sa cellule, oui, puisque je te le dis, mais peut-être qu’après un si long temps passé dans des grands espaces est-on content de retrouver sa cellule ?
- Eh bien, quel est donc ce babillage incessant frère Jean ? N’êtes-vous pas en train de méditer le très sage sermon qu’il vous a été donné à connaître pour les Vêpres ce soir ?
- Bien sûr, père Adelme, bien sûr, seulement…je m’inquiétais de n’avoir revu frère Alain de toute la journée, et je me demandais si, peut-être, ne devrions-nous pas nous enquérir …
- Ah frère Jean, plût au ciel que tu ne suives son exemple et que tu ne passes tes journées en Saintes Méditations plutôt que perdre ton temps à pérorer et jacasser comme une femme !
- Oui, mon père.
- Ne trouvez-vous pas admirable la force de la Foi acquise pas notre Frère durant son voyage ? Vous devriez bien prendre exemple sur lui plutôt que de vous inquiéter de sa santé. C’est bien là réflexion d’âmes faibles promptes à la tentation de la Chair. Vous ferez maigre frère Jean, ce soir, et vous aussi frère Maximin. Vous emploierez ce temps à méditer sur le combat que doit mener l’Homme sur la Chair pour atteindre au Divin !
- Oui, mon frère
- Oui, mon frère»

Deux

Pourquoi te fais-tu si mal Alain ?
La douleur ne changera rien, Alain
Nous ne voulons que ton bien, le sais-tu ?
Ne t’avons-nous rien appris sur la beauté des corps ? Allons, Alain, souviens-toi…
Viens, Alain, viens, rejoins-nous.
Qu’avons-nous fait qui t’ais tant déplu Alain ?

Dans la cellule froide en pierre repose frère Alain agenouillé en position de prière, les genoux à vif, une rigole de sang s’écoulant lourdement de sa chair meurtrie.
Agenouillé depuis des heures sur une barre aux arrêtes tranchantes, ses genoux supportent seuls le poids de son corps sur les bords à vif. La douleur est intolérable.

Sainte Marie,
Mère de Dieu,
Priez pour nous pauvre pêcheur
Et Jésus, le fruit de Vos Entrailles est béni.

Ainsi tu délaisses notre fruit rose et aimant pour celui de cette femme ?
Tu refuses notre amour pour les viscères de cette mère de famille ?
Ou peut-être penses-tu à sa sœur Marie-Madeleine, la prostituée…

Arrière, harpies, tentatrices, démons !
Ne pouvez-vous laisser mon âme en paix, pour l’Amour du Christ ?

Alors arrête de torturer ton corps, pour l’Amour de la Vie

Si je torture mon corps, c’est pour sauver mon âme du gouffre dans lequel vous l’avez précipité,
Sorcière, démon.
In nomine patri et filii et spiritus sancti

Arrête, Alain !

La voix sensuelle et chaude se transforme en un cri animal, doublé.
Au premier plan, c’est un cri, un hurlement aigu. Il perce les oreilles d’Alain et vrille une douleur qui s’insinue dans les profondeurs de son crâne. Il est la force et la puissance, la colère. A l’arrière plan de cette haine, décalée d’un demi-temps par rapport à la première, une seconde voix, basse et discordante se traîne et répercute en écho distordu les paroles de la première. Elle tourne dans le crâne d’Alain et lui fait monter la nausée.

Je te parle de la torture d’abstinence qu’on t’inflige alors que Dieu t’a conçu pour honorer la vie par un acte merveilleux et que tu t’obstines jour après jour à implorer le pardon d’être en vie
Je te parle de ta soumission absolue à d’autres hommes au nom de Dieu.

C’est le démon qui s’exprime par vos bouches, tentatrices, fornicatrices. J’ai failli à Ma Mission et ai cédé à la tentation du Malin, je n’attends plus maintenant que les flammes de l’Enfer et le tourment éternel du pécheur face au jugement du Très Haut.

Mais tu es seul frère Alain, vois ta cellule, ouvre tes yeux, arrête de te mentir. Tu es seul à t’imposer les flammes de l’enfer en ce moment, de quoi as-tu peur ?
Où est ta faute ? Es-tu homme de Dieu ou homme d’église ? Pourquoi n’honores-tu pas la vie pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle te donne, plutôt que de t’enfermer au milieu des livres et des rites imposés par d’autres hommes plus vieux et plus aigris que toi ?

Sortez de mon âme, démons ! Pourquoi faut-il que vous me torturiez encore après avoir marqué mon âme de la Griffe de Satan ?

Satan, démons, Malin voilà tout ce que t’inspire le plaisir ? Le Christ ne parle t’il pas d’Amour, de Partage ?
La seule chose que nous avons déposé en ton âme, c’est un peu d’amour et de tendresse.

Mais que connaissez-vous de l’Amour, fornicatrices, sodomites, vous qui n’avez connu que la débauche de la chair ? Que connaissez-vous de l’extase divine, du don absolu de soi envers le Très Grand ?

Et toi, qu’en connais-tu, Alain, hein, dis-moi qu’en connais-tu, enfermé ta vie durant au milieu d’hommes vieillissants et craintifs dans la froidure de ces pierres qui te protégent de tout ce qui fait la beauté du jour ? Tu crois donc connaître l’Amour dans des livres ?

Laissez-moi seul maintenant, vos discours n’entameront plus ma Foi et je tournerai entièrement mon âme vers la lumière du très Haut, attendant, en pénitence, Sa très juste Colère.

Frère Alain ferme les yeux. Ses lèvres entament une psalmodie inaudible. Ses mains jointes blanchies aux articulations par la ferveur de la prière, tremblent à son front.

Alain ?
Alain …
Tu ne crois pas nous échapper ainsi, n’est-ce pas ?
N’as-tu pas compris ? Nous sommes ta conscience tourmentée, Alain, qui ressurgit de ta mémoire. Ni tes prières, ni les routes que tu as mises entre nous ne pourront empêcher ton corps de se souvenir.
Souviens-toi, Alain, allez, oublie ce que tu as appris et reviens-nous…

Alain pousse un cri, il bascule et s’écroule sur le sol.
Il vient d’apercevoir dans un éclair les corps nus des deux femmes qui l’ont attiré dans leur hutte, à l’abri des regards du monde.
Elles s’enlacent et s’embrassent langoureusement, leurs longs cheveux forment une cascade tout le long de leur corps, elles se caressent mutuellement : les hanches, le ventre, leurs lèvres glissent sur leurs seins dressés. Leurs yeux fixés sur Alain l’invitent au partage.

Alain ferme les yeux. Elles sont toujours là, encore plus sensuelles.

Frère Alain hurle à nouveau, sa tête retombe lourdement sur le sol froid du monastère.
Deux femmes s’allongent sur lui, et, délicatement embrassent ses plaies aux genoux, recouvrant de leurs corps les frissons d’Alain, inconscient. L’une d’elle pose délicatement sa tête contre son front.

trois

A mon réveil, je distinguai les chants des mâtines, il était cinq heures. J’entendais les frères louer la Vierge et la confiance avec laquelle ils chantaient «l’avé Maria » m’emporta un instant. Je ressentis un bref instant la certitude qui habitait ces hommes.
Je ne faisais plus partie de leur monde.
Je ne faisais plus partie de ces hommes éclairés par la Foi. Le doute m’avait envahi, il avait tout dévasté sur son passage et m’avait laissé seul avec le plus terrible d’entre tous les péchés, passible, pour un prêtre, du bûcher, prémices des tourments futurs de l’au-delà.
J’avais commis le péché de chair. Y avais-je trouvé tant de tourments ? Je ne savais plus. Les paroles de ces deux sorcières continuaient de me hanter.
Et leurs corps.

L’image des deux furies dansant nues autour de moi me collait à la rétine, j’étais hanté. Damné.
Je me retournai,
La douleur aux genoux était intolérable et me fit me tordre sur ma couche. Je pris conscience alors que je n’étais plus dans ma cellule. L’obscurité ne me permettait pas de savoir avec certitude où je me trouvais.
Qu’importaient les lieux et le temps à présent, j’étais enfermé dans ce lieu sans âge que m’avait fait croiser au détour d’un chemin ces deux femmes. J’étais plongé à jamais dans les ténèbres de la forêt. Fallait-il continuer à lutter pour la rédemption de mon âme ou devais-je me résigner au sort que le Destin m’avait tracé ?

La lune ce soir là saignait et l’auréole de sang qui s’étalait de sa lumière blafarde étirait dans le ciel des larmes morbides.
Je ne fis d’abord aucune attention à cette clarté obscure qui saignait du ciel et rongeait le vert des feuillages alentours, absorbé dans quelques méditations que m’inspirait le séjour à l’abbaye. Je fus distrait, malencontreusement pensais-je, par une chauve-souris qui me frôla et attira mon attention sur une petite clairière dissimulée de ma vue par un grand noyer aux branchages rongés par la foudre.
C’est à ce moment là que je les vis pour la première fois, le lumière sang du ciel trouvait sa source au cœur de la clairière - femmes-louves - leurs corps ondulaient et se tordaient sous le cri de quelques incantations.
Je me cachai.
Le rougeoiement du ciel auréolait leurs corps pour se condenser au centre de leur danse en une boule de feu crépitante.
Elles étaient d’une beauté sauvage. Fascinante. Leur danse semblait mue par des forces ataviques ressurgies du plus profond de la forêt.
Une louve tapie à la périphérie de la clairière, comme réchauffée de lumière, léchait affectueusement une portée de jeunes loups. Certains d’entre eux tétaient furieusement les mamelles de leur mère.
Mon regard se porta de nouveau sur le spectacle que m’offraient à leur insu ces deux créatures. J’étais pétrifié. La bestialité de leurs regards, la sauvagerie primitive qui irradiaient de cette scène me glaçait le sang.
Quelles pouvaient être ces êtres maléfiques ? De quel savoir primitif étaient-elles les gardiennes pour diffuser une telle force, une telle sauvagerie ?
Les branches des arbres s’agitaient en tous sens. Les feuilles tombaient noircies, pétrifiées de l’intérieur. Carbonisées.
J’étais fasciné du spectacle de leurs corps nus, ondulant au chant des incantations. Leurs cheveux, d’abord, parcourus telle une rivière débordant de son lit d’ondes anarchiques, soulignaient les mouvements furieux de la tête, cognant le vide pour mieux enfoncer leurs paroles psalmodiques dans les profondeurs de la forêt.
Et puis leurs seins, ensuite. Deux fruits du printemps virevoltants et animés d’une force propre dansaient, étourdis, dans cette sarabande.
Cette vision provoqua bien malgré moi un émoi peu digne d’un jeune moine…

Elles s’arrêtèrent instantanément.
Immobiles, la tête relevée, elles fouillaient de leurs nez l’air alentour, cherchant l’origine de cette odeur. L’une d’elle grognait et soulevait ses lèvres à la manière des loups. Elle regardait dans ma direction. Puis, alors qu’il n’était pas possible qu’elle put me voir, caché comme je l’étais par le fouillis de broussaille, elle me fixa. Son regard me transperça et, malgré la nuit, malgré la distance, vint se poser directement de mes yeux, jetant un éclair de désir, vers mon sexe. Ses lèvres bougèrent.
Elles articulèrent alors des sons qui n’avaient pour moi aucun sens. Une écume de bave entourait ses lèvres. Elles s’approchèrent d’une démarche lourde, lente et volontaire. Elles se caressaient doucement le corps, le ventre, du bout des doigts, puis, doucement, remontant vers les seins, massaient de toute la paume leurs tétons noirs.

J’étais pétrifié, immobile. L’angoisse m’interdisait tout mouvement tandis que je sentais monter malgré moi une étrange chaleur au fond de mon ventre.
Elles continuaient de humer l’air, aimantées par mon odeur. De plus en plus excitées, elles finirent de traverser la prairie à quatre pattes et telles des louves affamées se disputant un bout de viande, se battaient l’une l’autre en poussant des grognements en se montrant les dents. Elles se ruèrent sur moi, je roulai à terre et fut immobilisé par le poids de leurs deux corps en furie. L’une d’elle me contraignit le torse par la force de son buste en s’aidant de ses genoux pour me bloquer les jambes.
L’autre louve me tint les jambes fermement serrées tout en léchant et avalant mon sexe. Ainsi immobilisé par le désir de ces deux sorcières, je ne pus que subir le déchaînement de leur appétit.
Aveuglé par le sexe écarté de la sorcière, qui représentait alors mon seul horizon, je me sentis, dans cette obscurité relative, soulevé par un déferlement de sensations inconnues : langues, bouches, mains caressaient, prégnaient, absorbaient tout mon corps, annihilant mon esprit pour laisser mes instincts seuls maîtres sur ma volonté.
L’excitation finit par exploser en une gerbe incontrôlée. Les deux sorcières se ruèrent alors sur ma semence et l’avalèrent telles des furies. Leur excitation à son comble, elles se redressèrent et, la tête rejetée en arrière, hurlèrent à la lune.
Passé l’excitation animale qui m’avait envahi et fait rompre malgré moi les digues de ma conscience de bon chrétien lors de cet acte satanique, je n’éprouvais plus que peur et angoisse à me retrouver là, objet de soumission de deux monstres issus des temps immémoriaux de la forêt. Qu’allaient-elles faire de moi maintenant qu’elles avaient assouvi leur soif de stupre ? Allaient-elles me faire bouillir dans une marmite pour quelques recettes sataniques ? Ou bien encore me brûler vif comme le font les bons chrétiens avec ces créatures ?
Un cri de terreur envahit alors les sous-bois et, jusqu’au plus noir de la forêt a t’on pu entendre l’horreur de mon destin. Elles me regardèrent alors de nouveau et je constatai dans leur regard une lueur de surprise devant mon visage transformé par la peur. Elles semblaient m’avoir oublié ou tout du moins ne semblaient-elles pas comprendre la nature de mon angoisse.

La plus grande des deux prit alors une petite fiole attachée à son flan et fit couler dans sa bouche un liquide noir et visqueux, une sorte de résine nauséabonde et gluante. Puis, sans l’avaler se gargarisa un instant.
Pendant ce temps, l’autre créature avait réussi à se glisser derrière moi et m’immobilisa les bras et le torse.
Je fus, une nouvelle fois, contraint par la furie de ces femmes à subir leur volonté : je me débattais pourtant comme un acharné mais rien n’y fit : la première se pencha sur ma gorge déployée vers le ciel et, forçant mes mâchoires, me fit ingurgiter tel un oisillon tout juste sorti de sa coquille, cette lotion satanique.

L’amertume ne pouvait me tromper sur la nature de cette substance : elle m’avait fait avaler un poison violent. Je sentais s’écouler le liquide gluant au fond de ma gorge, l’âpreté et l’amertume de celui-ci se distillait lentement au creux de mon organisme, je balbutiai quelques prières de pardon et m’apprêtais à rendre compte de mes actes devant le créateur.
Quand…

flash



A partir de cet instant, je ne distinguais plus rien, tous les évènements prenaient un contour flou et mouvant. Les choses, les êtres, les lieux, tout prenait la forme de quelques sensations mal définies où prédominaient la multitude des couleurs et le vertige.
Tout n’était qu’un ensemble de sensation irréelle où plaisir délétère et réalité se fondaient en un tout indistinct et voluptueux.
Jusqu’à ce jour d’hiver où je vis poindre à l’horizon l’abbaye qui me vit partir moine au cœur immaculé de l’amour de Dieu…

Je me retourne, mes genoux me font atrocement souffrir. Voilà des heures que je n’ai pu les bouger. Si je continue ainsi à rester immobile sur ce lit de misère, mes articulations vont se figer et la gangrène va attaquer la plaie.
Je serais alors condamné à rester immobile dans cette austère abbaye. Les membres inférieurs morts à jamais. Le noir de la cellule, le gris de la pierraille seront alors les seuls confesseurs de mes errances… aurais-je seulement sauvé mon âme en détruisant mon corps ? Le risque d’une telle erreur est trop grand…je ne puis me résoudre à être prisonnier de mon corps, enfermé dans cette citadelle qui se refermera alors sur moi comme un sanctuaire.


Je refuse.
Je dois me lever, marcher, lutter.
Et qu’importe où me mèneront mes pas.

quatre

10 ans ont passé depuis ces heures froides de janvier, je suis arrivé maintenant au terme de mon errance et goûte depuis lors le repos bienfaisant de l’équilibre retrouvé.
Mais avant cela, mes pas, d’abord douloureux et hésitants, m’ont mené de nouveau vers les bois jouxtant l’abbaye.
Là, empli de doute et de peine, j’ai découvert l’instrument qui sera mon guide et mon compagnon pour les sept années à venir. Il s’agissait d’un long et lourd bâton de chêne qui me donna la force de traîner mes jambes atrophiées hors des limites des terres abbatiales. C’était lui, qui, tout au long de ces années, dressé par-devers moi, me montrait le chemin à parcourir et le havre transitoire qui devait nous donner le repos d’une nuit. Jamais encore, il n’a failli à son devoir, me protégeant des gueux et me soutenant quand mes pas trop lourds ne pouvaient me mener plus avant.
Sur ces chemins j’ai rencontré nombre de saltimbanques au cœur plein de folie et de danse, et de chant, et de lumière. J’y ai rencontré quelques sages aux paroles éternelles et nombre de fieffés roués et autres coquins, voleurs de grand chemin et pécheurs impénitents. De tous j’ai appris. Chacun, du plus roué au plus sage, m’a montré le seul chemin véritable, celui qui mène à soi.
J’ai connu aussi le partage et l’amitié, hors des prières et des livres. J’ai enfin compris ce que ses mots voulaient dire. J’en remercie pour cela Lazare, gueux de Thormes, ami indéfectible qui m’a fait découvrir la richesse de l’aventure et la force du jour. Puissent ses pas le mener toujours plus loin.

Enfin, j’ai retrouvé, après maintes péripéties, celles qui m’avaient poussé hors des chemins tous tracés qui devaient être les miens.
Nous vivons ensemble maintenant dans une humble masure, au fond des bois, loin de toutes les routes marchandes, loin des citadelles religieuses et des villes apeurées.
Nous vivons de quelques méfaits sans grandes conséquences que leurs magies provoquent ; détroussant uniquement lorsque les vivres de notre hutte font défaut quelques riches marchands ou autres clercs appâtés par le désir de l’or…
Le reste du temps, et bien, nous vivons d’agapes et de festins que nous partageons entre amis : esprits malicieux des forêts, trolls et autres licornes concourent à mon éducation et je crois pouvoir affirmer être un apprenti studieux montrant même des dispositions certaines à l’étude.

J’exerce mon art de la sorcellerie (peut-être ce mot vous choque et me faut-il le remplacer par celui de magie ?) essentiellement sur les mots que je tisse et enlace pour en faire des colliers d’images et de sensations.
Je vous dédicace celui là, espérant qu’il trouvera en vous un terreau suffisamment fertile pour prendre racine.


Attendre sous le vent et la neige des astres
La venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré
Comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupir du sage
Et qui volent dans le sens de l’amour
Voilà mon sort
Voilà ma vie
Vie que la nature a faite pleine de plumes
Et de poisons d’enfants
Je suis ton humble serviteur
Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages
Que tu me tends sur un coussin
Qui
Comme une cuisse immortelle
Conserve sa chaleur première et provoque le désir
Que n’apaiseront jamais
Ni la flamme issue d’un monstre inconsistant ni le sang de la déesse
Voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs


NB : poésie de Benjamin Péret in Le grand jeu.



FIN

PHOTO : Raya

Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique :

Chronique : par Xavier Braeckman
E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.  

Au service de la photographie depuis 2001