Correspondance new-yorkaise par Bruno Chalifour. 30 octobre, 2010.
- Le salon photo de New York, PhotoExpo Plus au centre de conférences Jacobs Javits.
- La valise mexicaine de Robert Capa et les photographiqes de la révolution cubaine au Centre International de Photographie (ICP, 43ième rue et 6ième avenue – www.icp.org ).
- L’exposition Lee Friedlander : America by Car au Whitney Museum (Madison Avenue à la 75ième rue) http://whitney.org/Exhibitions/LeeFriedlander .
Les 28, 29 et 30 octobre 2010 voyaient le Jacobs Javits Convention Center de New York (34ième rue et 11ième avenue) accueillir PHOTOPLUS EXPO, une combinaison de salon de la photographie et de conférence/stages organisée annuellement par le magazine PDN (Photo District News [voir http://www.pdnonline.com/pdn/index.shtml ]).
La partie « salon » ressemblait sans doute beaucoup au Salon de la Photo qui se déroulait une semaine plus tard à Paris, à cela prêt que la tendance était plutôt à cibler les amateurs ou « petits » professionnels ou encore aspirants professionnels (sachant qu’aux USA n’importe qui peut s’autoproclamer professionnel : dans la plupart des cas, le client potentiel n’a que très peu d’information sur les compétences du dit « professionnel » ainsi que de garanties de la qualité du service offert). Le matériel de prise de vue lourd, moyen format, se remarquait par son absence. Ni Hasselblad, ni Mamiya, par exemple n’étaient présents. Sur le marché des logiciels de traitement d’image, les présences d’Apple et d’Adobe n’étaient qu’indirectes à travers des manufacturiers de « plug-ins » tels que Nik Software. Fuji et Panasonic avaient aussi fait l’impasse–l’accord avec Panasonic-Leica peut-être, ce dernier avait un stand montrant certes le M9, mais surtout leurs bridges et compacts qui, comme on le sait, sont quasiment identiques à leurs jumeaux estampillés Panasonic qui eux affichent un prix nettement inférieur pour des performances identiques ?). Les gros sponsors de l’année étaient Nikon, Canon, Sony, Epson et Ilford. Canson faisait également un effort remarquable de présence et de percée sur le marché américain. Lowepro, le fabricant américain de sacs photo, avait lui aussi mis les petits plats dans les grands par comparaison aux Tenba, Tamrac, et autres Billingham. Sony avait embauché, comme Nikon et Canon, un photographe professionnel qui, sur scène, illustrait les possibilités du NX5, leur nouveau compact au format APS-C à objectif interchangeable. Les innovantes fonctions intégrées pour la création d’images au format panoramique et/ou à haut rendement dynamique étaient largement démontrées.
Au sein du salon, on pouvait noter le peu de surface dédiée aux expositions. Les seules présentes ayant des qualités de création assez moyennes, leurs sujets étant principalement centrés sur un exotisme coloré. Les stands de façonnage, du tirage d’épreuves, à l’album ou au livre photographique étaient très nombreux, comme l’était le public qui se pressait en masse. Même si un tel engouement ne préfigure pas d’une consommation effrénée dans un marché morose, l’approche des stands et la circulation dans le salon s’avéraient eux aussi difficiles.
Du côté conférences et mini-stages, PhotoExpo Plus offrait quelques 99 sessions de 2 à 3 heures chacune réparties sur trois jours (par comparaison avec les 24 évènements du salon de la photo à Paris présentant notamment le brillant copiste/plagiaire Eric Delsaux et le reporter Patrick Chauvel plus présent dans les festivals que nulle part ailleurs en 2010). L’essentiel des contenus est essentiellement technique (éclairage, Photoshop, lumière et exposition, portrait, sport, mode…) avec des exceptions notables sur les problèmes de vision, d’éducation et même d’éthique en matière de photographie. Il faut dire que le magazine PDN à une version « PDN Edu[cation] » destinée aux lycées, écoles de photo et universités distribuée gratuitement grâce aux financements de Nikon (surtout) et Canon USA. Durant la pause déjeuner des jeudi, vendredi et samedi, la conférence proposait des exposés en salle plénière où se succédaient quelques vedettes de la profession : le photographe publicitaire Chase Jarvis, le photo-reporter Collin Finlay, le portraitiste Albert Watson, Cristina Mittermeier, et Mark Power. Heureusement une franchise Starbucks permettait de se recharger en caféine sur place !
L’exposition de la « valise mexicaine » Capa, Chim, Taro à l’ICP (International Center of Photography)
&
America by Car (L’Amérique vue de ma voiture) de Lee Friedlander au Whitney Museum of American Art.
En 1939, Robert Capa, photojournaliste qui avec Henri Cartier-Bresson, David Szymin (« Chim » plus tard naturalisé citoyen américain sous le nom de David Seymour) et deux autres compères co-fondera l’agence coopérative Magnum en 1947, quitte précipitamment Paris pour l’Angleterre puis les États Unis devant l’avance nazie. Il confie à un ami une valise contenant ses négatifs de la guerre civile d’Espagne, ceux de Chim ainsi que ceux de sa compagne d’alors, Gerda Taro décédée au front en 1937 à Valence (Espagne), au total quelques 4300 négatifs rangés dans trois petites valises. Il y a même les photographies que Capa a prises en 1939 des conditions des camps de réfugiés républicains espagnols à Argelès s/mer et au Barcarès. Les trois valises disparaitront pour n’être retrouvées au Mexique qu’en 1995 et finalement restituées à l’ICP (le Centre International pour la Photographie fondé à New York en 1974 par Cornell Capa, le frère de Robert, après le décès de ce dernier sur une mine anti-personnel en Indochine en 1954). Une sélection des images des trois photographes constitue le cœur de l’exposition ouverte jusqu’au 11 janvier 2011.
Les photographies sont présentées non seulement en tant que tirages mais dans le contexte de leur publication d’alors, essentiellement dans les pages de Ce Soir et Regards, respectivement le quotidien et l’hebdomadaire illustré du PCF, ainsi que dans quelques exemples de deux autres célèbres hebdomadaires illustrés de l’époque, le français Vu et l’américain (inspiré par Vu) Life – une exposition historique donc qui permet notamment de mesurer les distances technique et esthétique qui séparent les photographes de guerre d’alors de ceux d’aujourd’hui.
Cette exposition est doublée par une autre exposition de photojournalisme historique : celle des photographies de la révolution cubaine. Les frères Capa (Cornell est décédé en 2001) peuvent être fiers de leurs héritiers.
Lee Friedlander fait partie des monstres sacrés de la photographie américaine des cinquante dernières années, celles des photographes révélés par John Szarkowski de 1962 à 1991 alors directeur du département photographique du département photo du Musée d’art moderne de New York. Friedlander appartient à cette nouvelle génération de photographes américains issus d’une formation universitaire en photographie. Né en 1934, il a 29 ans quand, en 1963, la musée international de photographie à la maison George Eastman (Rochester NY) alors dirigé par Beaumont Newhall et Nathan Lyons, décide de lui consacrer une exposition solo. Comme il se doit pour les photographes de cette génération, Friedlander obtiendra une bourse Guggenheim en 1960, 1962 et 1977 [Edward Weston en fut le premier récipiendaire en 1937 ; Robert Frank en obtiendra deux consécutives en 1955 et 1956 pour un périple autour des États Unis qui donnera Les Américains ]. En 1967, John Szarkowski le sélectionne avec Diane Arbus et Garry Winogrand pour sa maintenant célèbre exposition New Documents. En 2005 le photographe voit son œuvre récompensée par une rétrospective de 400 images au MoMA de New York, un épais catalogue, et le prix de la fondation Hasselblad. Il faut dire que depuis plusieurs années il avait délaissé son Leica M si souvent laissé en signature dans les photographies incluant le rétroviseur de son véhicule (un clin d’œil imité par Raymond Depardon lors de ses escapades nord-américaines) pour un Hasselblad SWC (super-grand angle). Nous sommes en 2010 et un Friedlander maintenant âgé de 76 ans exposait ses travaux les plus récents – la plupart des images ont été prises entre 2006 et 2008¬– au Whitney Museum d’art américain de New York jusqu’au 28 novembre 2010. L’exposition comprend plus de 180 images noir et blanc de format carré (prises à l’Hasselblad SWC). L’exposition est en fait une reprise de celle organisée en 2008 par la galerie Fraenkel de San Francisco qui alors ne comptait qu’une cinquantaine de tirages. Un livre-catalogue avait alors été publié et qui comportait la bagatelle de 192 tirages (America by Car, Fraenkel/DAP, 2008).
Si l’on devait soutitrer America by Car, il faudrait l’appeler « Friedlander s‘amuse » avec l’histoire de la photographie moderniste américaine. Dans la galerie du Whitney, les photographies sont exposées par thème et en triples rangées. Friedlander a photographié les États Unis de sa voiture, la plupart du temps de la place du conducteur et avec un angle de 45° incluant une portion du pare-brise et de la vitre de la porte avant latérale, incluant bien entendu le rétroviseur avec qui il s’amuse depuis des décennies. La série America by Car est une suite de citations, parfois même d’autocitations. On y retrouve les sujets rassemblés en groupes d’images : on y retrouve les thèmes privilégiés par Walker Evans (American Photographs, 1938) et ses magasins et enseignes de bord de route, Robert Frank (The Americans, 1959) et sa trilogie route–voiture–religion/mort, Nathan Lyons (Notations in Passing, 1974) et ses jeux sur les signes et les textes inclus dans les paysages urbains, et surtout Lee Friedlander lui-même et ses structures, ici le montant avant séparant le pare-brise de la vitre latérale avant, divisant le paysage, souvent urbain en deux entités disjointes, comme si on avait rapportés deux images différentes visibles au travers de chacune des portions de vitres inclues ; Lee Friedlander et ses jeux de rétroviseur ; Lee Friedlander et ses paysages du désert du Sonora ; Lee Friedlander et ses paysages des champs de bataille de la guerre de sécession (voir American Monument (1976), un livre qui se négocie maintenant entre $ 1500 et $ 5000) : rien que du bien américain moyen à la façon des ouvrages de John Brinckerrhof Jackson sur le paysage périurbain américain. A cela il faut aussi ajouter quelques portrait d’amis photographes dont évidemment John Szarkowski. Friedlander finalement pastiche Friedlander : en fait une exposition très divertissante une fois que le visiteur à les clefs en main.
A voir peut-être prochainement en France, qui sait, à la MEP, au Jeu de Paume ou aux Rencontres d’Arles.
Bruno Chalifour, 1er novembre 2010.
PS: la galerie Fraenkel (San Francisco) expose également Friedlander jusqu'au 30 décembre 2010, Friedlander 1960-2010: How I Got from There to Here in 100 Pictures or Less.
Lee Friedlander : America by Car
Whitney Museum of America Art, New York du 4 septembre au 28 novembre 2010.
[+ catalogue publié par la galerie Fraenkel (San Francisco) et DAP, 2010 ($50)]
En savoir plus sur les images
Photo 1
Octobre vu du nouveau parc "The Highline", l'equivalent de la promenade plantee de Paris - C Bruno Chalifour, 2010.
Photo 2
La valise mexicaine de Robert Capa (ICP)
Photo 3
Photo de Robert Capa
Photo 4
Lee Friedlander et son Hasselblad SWC par Richard Avedon.
Photo 5
Lee Friedlander - Montana 2008
Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique Chronique par Bruno Chalifour Site : www.brunochalifour.com E-mail : |