Par Bruno Chalifour
Je ne m’appesantirai pas trop sur l’ensemble du programme ni ne rentrerai dans trop de détails sur celui-ci, le site web des Rencontres est là pour cela. Je ferai plutôt un survol explicatif et espérons-le utile pour mieux comprendre le contexte de ces Rencontres et la signification des choix opérés. Pour plus de détails in situ, j’encadrerai encore cette année mon stage annuel de 3 jours durant la semaine d’ouverture :
http://stagephoto-arles.com/index.php/page/fr/stage/39
Site du programme des Rencontres 2009 :
http://www.rencontres-arles.com/A09/C.aspx?VP3=CMS&ID=A09P597
Ce lien vous permettra de cliquer sur la chèvre, bouquetin ou chamois, l’emblème de ces 40ième Rencontres de la Photographie. Les divers légumes et fruits des années précédentes sous la direction bicéphale des deux François–François Barré président et François Hébel directeur artistique chargé de ce 40ième anniversaire–se sont vus remplacés l’année dernière par le paon de Christian Lacroix, et cette année par la chèvre…de monsieur Seguin, sans doute, étant donnée la proximité du moulin de Daudet,… je suppose.
Inspiré par la tête d’affiche de cette année, je me propose donc de broutiller çà et là dans l’annonce du programme de cette année et de ruminer quelques pensées alimentées par 22 ans de pratique des Rencontres. Hé oui, déjà !
L’année est aux célébrations et pas des moindres : Robert Delpire, Willy Ronis, Lucien Clergue, Jean-Claude Lemagny, Eugene Richards, Duane Michals, et les Rencontres elles-mêmes nées en 1970 et fêtant non seulement leur quarantième anniversaire mais une longévité et une santé inégalées dans l’histoire des festivals photographiques.
En préalable au développement des points énumérés ci-dessus, je vais m’arrêter sur deux ou trois exceptions à cette liste de rêve pour ne pas avoir à terminer cet article sur elles, car Il y a peut-être des « encores » que l’on aurait pu retarder.
En effet, même si je reconnais l’importance esthétique, socio-culturelle et photographique de The Ballad of Sexual Dependency (originale projection de diapositives publiée en livre en 1986), je dois sincèrement avouer que depuis près de 20 ans je fais une overdose de Nan Goldin, son auteur – par une rapide soustraction les lecteurs habiles en calcul mental auront compris que j’ai été bon public pendant au moins trois ans. Elle a usé le succès de ce travail jusqu’à sa trame, en essayant piteusement de reproduire, depuis le succès international de cette série, une expérience très unique et personnelle à caractère historique sinon emblématique, chez des quasi inconnus à Paris, Tokyo ou ailleurs toutes ces vingt dernières années, en en gaspillant les retombées financières indirectes de consommation de drogues dures en cures de désintoxication redondantes, pour finir par ce que l’on pourrait quasiment qualifier d’exploitation d’un drame familial (le suicide de sa sœur est le thème d’une de ses dernières séries, prolongeant l’autobiographie en analyse d’outre-tombe). Entre temps Nan nous a affligé en nous infligeant des couchers de soleil pris à travers une vitre de compartiment de chemin de fer, même signés Nan Goldin et larges d’un mètre, cela ne le fait pas !
Être son propre miroir a ses limites, celles des redondances qui se creusent. Le crépuscule des vieux ou plus dure sera la chute ! Heureusement en 2009, Arles était là !
De même le retour de Martin… Parr (non ce n’est pas un mauvais jeu de mot… en fait peut-être si après tout), que l’on a revu régulièrement après son année de direction artistique des Rencontres en 2004 : j’ai beau apprécier et l’homme et son œuvre, il y a des vitrines qu’il faut savoir changer. Au moins Depardon nous aura été épargné –qu’on ne se méprenne pas cependant, ceux qui me connaissent savent combien j’estime ces deux monstres sacrés, ou sacrés monstres, suivant, de chez Magnum.
On pourra également s’étonner de la présence également rebondissante de Naoya Hatakeyama, exposé il n’y a pas si longtemps, avec, cette année, un travail de photographie de maquettes qui semble un peu s’inspirer d’autres de ses contemporains maintenant qu’il a délaissé son approche du paysage à la Burtynsky. Pour avoir vu ce travail il y a deux ans à Montréal, je dirai qu’il m’a plutôt laissé froid par la platitude de son approche. Naoya Hatakeyama, par ailleurs, est charmant homme et un photographe doué,… de beaucoup de talent pour les commandes. Je vous conseille d’aller voir, au hasard de ses livres ou d’autres expositions, ses paysages industriels ou souterrains, ou encore ses fantastiques photographies d’explosions.
2009 : un festival historique.
Les Rencontres d’Arles sont un monument élevé chaque année non seulement à l’histoire de la photographie mais à la création photographique contemporaine. Bien sûr les choix opérés reflètent les options de l’équipe qui les opère. Cette équipe a su diversifier suffisamment le contenu de ses expositions et de ses festivals et donc de ses publics-cibles pour drainer de plus en plus d’audience au fil de ces sept dernières années. 2009 ne devrait pas faire exception.
Certains, il y a 10 ans, prédisaient au festival un avenir de dinosaure et annonçait sa disparition prochaine inéluctable. C’était à la fin des années 1990 et on fêtait alors un 30ième anniversaire. Sentant enfin le vent tourner, le conseil d’administration commit un vigoureux coup de barre et transforma le dinosaure public en un phœnix d’économie mixte. Il faut dire que le virage à droite du gouvernement et la baisse des subventions publiques à la culture figurent sans doute à la liste des conditions météorologiques. Après des choix précédents sûrement discutés mais que l’assiduité du public a rendus indiscutables, les Rencontres cette année se penchent sur elles mêmes et sur ceux qui les ont accompagnées.
L’hommage rendu à Robert Delpire a su se faire attendre. L’homme est d’une humilité extrême, je l’ai vécue. Lorsque j’essayais de l’interviewer en vain en 2003, il s’est toujours réfugié derrière les extra-terrestres de la photographie tels que Henri Cartier-Bresson, Robert Frank, Josef Koudelka, William Klein, Sarah Moon qu’il a su reconnaître (avant la plupart du monde pour certains) et scrupuleusement aider dans leurs efforts de publication. Delpire est un des grands hommes de la photographie du XXième siècle–qui a encore commis le superbe rétrospective Cartier-Bresson à la BNF en 2003–à l’enseigne des Minor White, Beaumont Newhall, John Szarkowski ou Mark Haworth-Booth qui, eux aussi, ont mis leurs vies au service du medium pour nos plus grands plaisirs esthétiques, intellectuels et émotionnels. Lui n’ayant pas été élu à l’académie, nous pouvons être reconnaissant au festival de lui exprimer sa et notre reconnaissance. Ce n’est ni Lucien Clergue ni Arthus-Bertrand qui me contrediront–Robert Delpire a d’ailleurs aussi prêté la main au projet « vu du ciel » d’Arthus-Bertrand.
« Un éditeur n’est pas un artiste mais un « passeur » entre un amont et un aval, entre les écrivains, peintres ou photographes et les artisans qui matérialisent leurs œuvres. » Déclare-t-il sur son travail. De Robert Frank à Josef Koudelka, le travail de passeur de Robert Delpire a rarement failli.
Toujours côté histoire des compagnons de route des photographes, des « passeurs », 2009 sera aussi le témoin d’un autre hommage à un autre monument de la photographie française, de la Photographie avec majuscule d’ailleurs : Jean-Claude Lemagny. Lemagny a très rapidement rejoint l’équipe fondatrice des Rencontres organisée autour des Clergue, Rouquette et Tournier. D’une présence et fidélité indéfectible aux Rencontres il a très longtemps fait pour ainsi dire partie des meubles : vivre les Rencontres sans avoir assisté au lectures de portfolios de Jean-Claude Lemagny pour le cabinet des Estampes et de la Photographie à la Bibliothèque Nationale de France à l’hôtel Harlatan, c’était avoir manqué un aspect irremplaçable du festival. Et il y a deux ans, les hôtesses au « badgeage » des Rencontres ne savait pas qui il était ! « Bonjour, [donc] Monsieur Lemagny ! Donnez-nous encore des « Nouvelles de la photographie. » [titre d’un ouvrage publié en son honneur en 1996]
Et bien sûr on ne pouvait et ne saurait oublier « Lucien », Lucien Clergue, celui par qui tout est arrivé. Un « caractère » sans doute mais c’est de cet entêtement là que les victoires sont faites. Qui d’autres aurait pu faire accomplir à Ansel Adams le seul voyage hors du continent américain de toute sa vie, et ce pour venir aux Rencontres en 1974, sinon Lucien Clergue ? Cette année sera donc aussi un hommage au seul photographe fondateur des Rencontres, Lucien Clergue, qui en sera aussi le directeur artistique de 1970 à 1976 puis à nouveau de 1983 à 1985.
Willy Ronis fêtera ses 99 ans cet été et sera lui aussi le sujet d’une attention particulière. Ce sera sa troisième venue en vedette des Rencontres. La première s’était déroulée en 1980 et la deuxième au début des années 2000, sous l’ère Gilles Mora–dont on déplorera l’absence en tant que nominateur pour le Prix Découverte. Cette dernière soirée de projection avait été rendue quelque peu difficile par le repli de la projection sur la cour de l’Archevêché (là où se trouve désormais hébergée le off des Rencontres, Voies Off). L’espace est bien plus petit que le théâtre antique et tout le monde ne put assister au commentaire que le photographe fit de ses images, commentaire, soit dit en passant, qui a bien failli ne pas avoir lieu, le service de contrôle des entrées refusant le passage à Ronis qui n’avait pas de billet, et pour cause. Il fallut l’intervention de Dolorès Marat et la mienne pour convaincre cerbère.
Le groupe des photographes honorés comporte également plusieurs auteurs prestigieux même si moins connus du grand public français.
Je commencerai par l’œuvre documentaire assez phénoménale de l’américain Eugene Richards. Ce photographe né en 1944 à Dorchester, Massachussetts, a accumulé les récompenses et bourses les plus prestigieuses (Prix Oscar Barnack, Eugene Smith, Hasselblad, Canon, Nikon, Leica, ICP,… ; 3 bourses du national Endowment for the Arts, une Guggenheim, une Getty…) au cours d’une carrière de plus de 20 ans en tant que membre de Magnum puis de l’agence VII de 2006 à 2008. Le photographe travaille un peu comme Raymond Depardon : de présent, il se fait invisible dans le milieu qu’il photographie, « mouche sur le mur », et saisit des situations d’un réalisme et d’une force peu communs. L’empathie communicative qui émane de lui semble générer une acceptation quasi inconditionnelle de ses sujets. C’est cette chaleur humaine contagieuse qui le différencie aussi d’un Larry Clark, plus voyeur, ou d’un Depardon plus réservé, maintenant une distance prudente. Le travail montré cette année à Arles a cela d’exceptionnel qu’il est entièrement en couleur, fait très inhabituel pour Richards, et complètement dépourvu de présence humaine–tout aussi surprenant. En fait, Richards, par ce travail, semble développer un point de vue très personnel, utilisant les espaces de diverses fermes abandonnées dans le mid-west américain comme autant d’espaces métaphoriques où semble s’exprimer une certaine lassitude sinon fatalisme vis à vis de l’espèce humaine et plus particulièrement de notre société occidentale ; sans aller jusqu’à la « nausée », ce n’est pas sans rappeler le virage accompli par Donald McCullin qui passa de la photographie de guerre pure et dure à la photographie sombre des paysages britanniques.
Le deuxième invité américain qui lui aussi vaut bien un déplacement à Arles est Duane Michals. En fait, c’est le premier photographe américain que je devais rencontrer la première année de mes venues maintenant annuelles à Arles ; c’était en 1988 sur la terrasse de l’École Nationale de Photographie. Quelque peu questionnée à ses débuts l’approche narrative et sérielle de Michals s’est ensuite affirmée avec autorité et poésie faisant de nombreux émules. Plus récemment, Michals a commis un petit opuscule caustique sur le marché de la photographie d’art. Publié chez Steidl sous le titre « Foto Follies : How Photography Lost Its Virginity On the Way to the Bank » » [comment la photographie a perdu sa virginité sur le chemin de la banque], Michals y fustige les engouements du marché de l’art en matière de photographie contemporaine des déguisements devenus redondants et rébarbatifs d’une Cindy Sherman aux provocations parfois grotesques d’un Andreas Serrano, ou d’une Sherry Levine, sans parler du caractère abscons des emprunts dits « conceptuels » d’un Richard Prince ou des mégas tirages d’un Andreas Gursky.
Arles cette année c’est environ 60 expositions, des stages, des lectures de portfolios–« payantes » ;o) j’entends encore et déjà les commentaires sur ce point ; mais soyons clairs, pour les moins fortunés ou les militants convaincus il y a toujours le Off à l’Évêché–, des soirées au théâtre antique, plus d’une centaine de livres à feuilleter, des conférences, des ateliers, un marché au livre, des visites d’exposition guidées par les photographes, une « Nuit de l’année » dans le quartier de la Roquette où agences, magazines, et collectifs s’en donnent à cœur joie,… et bien sûr et surtout des rencontres. Un dernier événement un peu spécial à signaler : cette année ce sont les anciens directeurs artistiques des Rencontres ainsi que deux profs de l’École Nationale Supérieure de Photographie (Claas et Milovanoff) qui sont les nominateurs pour le prix des Rencontres (25 000 € quand même). Beaucoup d’images et une grande diversité en perspective ! Rendez-vous donc en juillet place du forum !
En savoir plus sur les illustrations
Image 1 : Affiche des Renconttres d'Arles 2009
Image 2 : L'auteur de cet article Bruno Chalifour, au centre, Nikon sur l'œil (Photo de Thomas Mayer), aux Rencontres d'Arles 2008
Image 3 : The blue Room par Eugene Richards
Image 4 : The blue Room par Eugene Richards
Image 5 : The blue Room par Eugene Richards
Image 6 : Who is Sidney Sherman par Duane Michals
Image 7 : Foto Follies : How Photography Lost Its Virginity On the Way to the Bank par Duane Michals
En savoir plus sur l'auteur de cet article
Bruno Chalifour
Rochester, NY, le 15 juin 2008.
www.brunochalifour.com
Voir aussi stage aux Rencontres d’Arles 2008 :
www.stagephoto-arles.com/index.php/page/fr/stage/39