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Sri Lanka, la reconstruction post-tsunami

 

Sri Lanka, la reconstruction post-tsunami

Par Jérémy Villy

Été 2008, sud du Sri Lanka.
Je voyage dans le sud pendant 2 mois et ai la possibilité de suivre quelques-uns des programmes de reconstruction développés après la catastrophe. J’ai l’occasion de pouvoir rester avec les bénéficiaires de ces programmes, et partager leur quotidien en m’introduisant dans leur vie. Le reportage commence ici : il ne faut pas beaucoup de temps pour se rendre compte que malgré l’énergie et la volonté développée dans les pays les plus durement touchés, il manque encore beaucoup... L’effort à fournir est immense, et on ne peut en aucun cas se rendre compte de l’ampleur de la catastrophe si on ne l’a pas vécue. C’est ici bien plus qu’une destruction matérielle, plus même encore qu’un traumatisme psychologique : le pays, la cohésion sociale, l’économie, la sécurité civile et militaire, sont à reconstruire; et recréer une histoire à partir de décombres ne prend pas quelques mois mais des années, sans aucun doute des dizaines.

Certains villages dont les besoins ont été évalués dans l’urgence de la reconstruction, juste après la catastrophe, ont étés pris en charge par des programmes de reconstruction matérielle. Parfois, comme c’est la cas pour la région de Galle, des villages qui étaient voisins avant le tsunami ont été joints dans la reconstruction, et la population qui habitaient ceux-ci a migré dans de nouvelles maisons. Les habitants des villages délocalisés doivent à présent cohabiter avec ceux du village voisin. Les structures reconstruites sont efficaces, et ont rapidement offert un toit à de nombreuses familles démunies. Ces maisons, malgré tout, n’ont parfois pas de cuisines, pas d’espace autres que celui nécessaire à la vie (salon/salle à manger, chambres...), et l’abri d’une famille nombreuse peut rapidement poser un problème.
Ce qui a également été oublié dans l’évaluation est la pertinence de la jonction de deux village qui pouvaient être rivaux. Après quelques temps passés dans un village «artificiel» ont commencé à resurgir quelques animosités, cordiales mais sensibles, entre les population des deux villages. Ainsi, sous l’apparente bonne entente de chacun, reste une rivalité très présente au travers de la production de matériaux (cordes en noix de coco, sacs, couture...) ou de denrées alimentaires (poissons et coco séchés...) qui se caractérise par une course à la démonstration, chacun voulant montrer que ce qui est produit par leur communauté est de bien meilleure qualité que celle des autres. C’est l’envie de s’en sortir qui prime, et tous les moyens sont utilisés pour se mettre en avant, même s’il faut pour ça empiéter un peu sur une apparente égalité...

Partout, aux alentours de ce village, quelques ruines de maisons sont toujours là, au bord de la route qui longe la plage, et pour lesquelles différents habitants du village delocalisé disent «on ne veut pas vraiment qu’elles partent, comme ça on sait où on habitait...»

Toujours dans la même région, j’ai rencontré une communauté de pêcheurs en eau douce. Installées autour des lacs environnants, ces communautés vivaient et vivent encore dans le respect de la nature, et ont compris depuis bien longtemps la nécessité de préserver leur environnement et leur espace de vie. La mangrove extrêmement développée autour des points de pêche a protégé du désastre la faune des lacs, et l’activité est rapidement revenue après le tsunami. Pêche au filet lancé, piège à langoustes, les moyens utilisés restent les même, et sont construits de façon à ce que chaque espèce n’ayant pas la maturité nécessaire à sa consommation puisse s’échapper, et continuer de se reproduire pour conserver un ensemble écologique stable et durable. Tous les pêcheurs de cette zone sont naturellement au courant de cette nécessité, et dans cet exemple, la cohésion entre tous se fait implicitement autour de la préservation de la principale zone de ressources de la région.
La seule chose qui a changé, c’est le programme développé par une organisation locale, qui promeut l’utilisation de lampes solaire pour la pêche nocturne, en remplacement des coûteuses et polluantes lampes à pétrole. L’intention est bonne, mais concrètement, la mise en place est très différente. Les lampes à énergies solaires n’existent pas. Les lampes fournies sont électriques, rechargeables sur secteur et de couleur blanche. Un des pêcheurs m’a expliqué qu’une de leur utilité autre que l’économie d’énergie, devait être d’attirer les poissons et les langoustes autour du bateau, et ainsi obtenir une pèche plus conséquente. En réalité, ni les poissons ni les langoustes ne sont attirés par une lumière blanche, mais rouge... Certains ont apposé un filtre de cette couleur pour optimiser un peu leur rendement, mais la majorité s’en sert pour voir ce qu’ils pèchent, ce qui se coince dans leur filet, ou ce qu’il mangent...
La pêche de nuit est difficile : un des pêcheur utilisant ce processus sensé lui faciliter la vie continue de partir pêcher à 21h00 tous les jours, et rentre à 5h00 chaque matin. Pour pouvoir vivre, il a développé avec sa femme et sa famille un commerce de corde de noix de coco, pour lequel il a construit avec un moteur électrique de ventilateur une machine permettant d’automatiser le processus. Il peut ainsi dormir presque 6 heures par jour, il a plus de 60 ans.
Une communauté voisine, extrêmement pauvre, a récupéré par cette même ONG, des outils rudimentaires pour confectionner des paillassons. Le but était de recréer un semblant d’économie dans ce village où la majorité des habitants avaient tout perdu, famille, habitat et matériel. Les machines ayant été distribuées sans véritable suivi, certains habitants en ont pris plusieurs, qu’ils louent ensuite à d’autres membres du même village pour que ceux-ci fabriquent des paillassons. Sans aucuns autre revenus, sans même aucune autre possibilité d’en obtenir, ces villageois payent à d’autres villageois le droit de travailler sur leur machine et  doivent économiser sur leur faibles ventes pour pouvoir un jour s’acheter la leur... Durant ma visite de cette communauté, le seul suivi que j’ai vu faire était par un coordinateur terrain local, qui avait pour mission de surveiller...ce que je prenais en photo. J’ai dû attendre un moment d’inattention pour pouvoir prendre l’atelier de confection et les femmes qui travaillent.

Plus vers le centre sud, dans la province d’Hambantotha, une ONG développe un programme très au point d’aquaculture. Un programme inscrit sur le long terme, pour créer un fond renouvelé régulièrement de langoustes destinées à la vente. Celles-ci sont élevées en milieu naturel, emprisonnées dans un parc construit au milieu du lagon dans lequel elle se développent naturellement. Le programme créé permet de maximiser le rendement, et de minimiser les efforts de pèche. La population bénéficiaire de ce programme est éduquée à la conservation des espèces et au renouvellement de celle-ci, et un programme de développement durable est appliqué par des suivis personnalisés à chacune des personnes qui suit le processus. Le procédé est plus long, plus fastidieux car il faut apprendre à attendre de voir le résultat de ses efforts, mais est extrêmement efficace. Au terme du temps nécessaires au développement adulte des langoustes, une production dix fois supérieure à la production classique est créée.
Cependant les communautés environnantes, qui n’ont pas été sensibilisées aux programmes de développements durables, voient le développement de cette activité comme un moyen de gagner beaucoup d’argent à court terme. Durant mon séjour, le parc a été attaqué, et quelques 35000 langoustes en développement (non utilisables pour la vente directe, elle ne mesurent à ce stade de croissance que quelques centimètres) ont été relâchées dans le lagon, éparpillées et irrécupérables... Il faut maintenant attendre la fin de la mousson, puis relancer le processus, pour retrouver le même stade. Approximativement, une année est nécessaire. Le travail est perdu, par manque de communication entre les communautés et d’explication du bénéfice global de l’opération.

Ces exemples ne sont évidemment pas représentatifs de l’ensemble des efforts fournis, mais ils montrent que malgré tout ce qui à été commencé et suivi, beaucoup de choses restent à faire. Les programmes de développement sont mis en place, les besoins premiers ont étés fournis à temps et ont répondu très justement aux attentes et nécessités d’un peuple traumatisé par une catastrophe naturelle. Il ne s’agit bien évidemment pas ici de dénoncer les systèmes de coopération internationale des pays ayant massivement effectués des dons aux peuples touchés par la catastrophe mais de mettre en avant le fait que malgré une connaissance plus globale, la pertinence des actions menées par les pays développés ne peut en aucun cas remplacer ou se substituer au fonctionnement d’un pays et d’une culture, et qu’il semble nécessaire de s’appuyer sur des compétences locales fiables pour développer des programmes véritablement efficaces.
Il reste à proposer des solutions, sur le long terme et en une vision d’avenir, à ce même peuple désireux d’oublier qu’ils sont des victimes, désireux plus que tout de s’en sortir et de faire revenir le tourisme dans leur pays, de moins en moins touché par la guerre interne qui sévit depuis plus de 30 ans et dont la marque est elle aussi très sensible. Il reste à faire comprendre aux enfants nés après la catastrophe, ou ceux qui ont survécus et qui vivent avec le traumatisme, que la cohésion est plus importante que la compétition pour reconstruire un pays. Enfin, peut-être reste-t-il à apprendre que des sommes d’argent astronomiques ne valent rien si on ne sait pas les utiliser.

En savoir plus sur l'auteur de ce carnet de voyages

Jérémy Villy
http://www.jeremyvilly.com

 

 

Au service de la photographie depuis 2001