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Saul Leiter

Saul Leiter, Le Charme discret de la poésie

(3 décembre 1923 – 26 novembre 2013)

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Tu seras rabbin mon fils ! Enfin pour le père de Saul Leiter, c’est ce qui aurait dû se passer. Etudiant en théologie à Cleveland, le jeune homme, né en décembre 1923 à Pittsburg, s’éloigne de la religion vers la fin de son adolescence. Viscéralement attiré par l’artistique, au grand désespoir de son père – qui en pleurera de dépit lors de sa première exposition, il doit sans doute le déclic pour la photo à son premier appareil offert par sa mère vers sa douzième année. Recueilli dans le giron enveloppant du 3e Art, auquel il se consacre dans un premier temps, il envisage sa vie en peinture, sa première passion et son premier métier. Vers 23 ans son mentor le peintre expressionniste abstrait Richard Poussette-Dart le poussera dans les méandres de l’art aérien de la photo. Dès lors, Leïca en poche il part pour New York avec l’idée de devenir photographe, et le travail de Cartier-Bresson, qu’il découvre dans une exposition en 1947, scellera son destin.

Contrastes appuyés, gris divers et variés, le noir et blanc qu’il peint en gélatine pour ses premières photos laissera sa place à la couleur dès l’année suivante. Le peintre rattrape le photographe.

Installé comme photographe de mode, c’est véritablement avec les publications de Esquire et Harper’s Bazaar, grâce à la mise en avant de son directeur artistique Henri Wolf, que Saul va commencer à se faire une petite réputation dans le milieu, mais avec son regard à lui, jamais sous contrainte. En 1957 sa carrière discrète est lancée. Pourtant, il est totalement détaché du « produit », le vêtement, là où les autres sont dans la compétition pour se faire un nom, il reste lui-même, un doux rêveur timide, attaché à l’homme dans son environnement. S’il est considéré comme l’un des pères de la couleur, c’est justement parce qu’il a su jouer sur les deux tableaux : la peinture et la lumière de la photo.

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C’est là que je vous laisse plonger dans son univers : La couleur joue dans l’espace, le construit. Les teintes chaudes et franches, parfois primaires, vous captivent. Là où, à l’époque le noir et blanc est considéré comme « artistique » et la couleur destinée à la photo « vulgaire », Saul élabore ses images comme des fresques au couteau. Les aplats colorés interpellent. La composition, les tons, y rappellent le fauvisme, l’impressionnisme parfois dans son jeu des conditions atmosphériques du moment-clé : un coup de vent sur un parapluie force le mouvement et la photo reste comme animée. De la pluie qui ruisselle sur une vitrine embuée de Manhattan et vous sentez la douceur du café qui fume, jusqu’à vous chatouiller les sens à en avoir envie de vous assoir au fond de ce coffee shop américain. L’atmosphère est gorgée d’émotions, ses photos sont des scènes de vie, un reportage urbain plutôt qu’un focus sur le personnage, « Une vitre couverte de gouttes de pluie m’intéresse plus que la photo d’une personne célèbre. » Voilà, tout est là. Saul Leiter, c’est le poète de la photographie esquissée. Les ombres vous prennent, vous suivez les silhouettes, le mystère de ces auras particulières vous font entrer dans un monde de couleurs, de vie et de cadrages osés et tellement personnels. On frise le cubisme sur certains clichés. Admirateur des peintres Vuillard, Bonnard et Sotatsu, il travaille la lumière naturelle, l’ambiance, comme un tableau intimiste, avec parfois un art du flou exquis.

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Je dois à Leiter mon amour fou pour la ville de New York, ses taxis jaunes, son atmosphère de rues, cet « American way of life » typique. J’y retrouve l’ambiance des tableaux du peintre réaliste Edward Hopper et de cette vie qu’il raconte. L’esthétique est toujours là, que ce soit dans la lumière, dans les couleurs - souvent à la saturation subtile - ou dans ses compositions très léchées, mon œil se régale. Je suis là, dissimulée derrière un réverbère de Manhattan. Saul nous apporte la beauté du monde qui grouille. Il nous expose les choses magnifiques qu’il y a autour de nous : « Il me semble que des choses mystérieuses peuvent prendre place dans des lieux familiers ». Il flirte avec la face cachée de l’image et décline la photo de rue comme des couplets poétiques.

Erotique parfois. Le livre sensuel Painted Nudes transpire le peintre chez le photographe. Ces photographies peintes subliment son travail noir et blanc avec des touches vibrantes et colorantes, rajoutées sur ses propres tirages, donnant à ses nus une autre dimension de vie par la couleur. Vous sentez le cœur qui vibre sous le grain de peau dessiné par le clair-obscur.

Discret et flâneur, c’est un photographe délicat, il préfère trainer ses guêtres dans les cafés et les avenues que partir en quête de lieux pour montrer son travail. Réputé solitaire, il préfère son monde que briller sous les sunlights. En 1955, quand Edward Steichen le contacte pour participer à l’expo Family of man qui deviendra un phénomène, il laisse tout simplement passer la date d’envoi de ses tirages. Qu’importe, lui il se balade dans les rues, comme dans la vie. « Etre inconnu m’a toujours paru une position confortable. »

Au final, Leiter sera véritablement connu du « reste du monde » à la fin des années 2000, avec une vie déjà pourtant riche de clichés en tous genres. L’exposition en 1990 Early Color du galeriste Howard Greenberg et le livre du conservateur Martin Harrison en 2006, le consacreront maître de la Street Photography.

Enfin, lui, il s’en fout pas mal, il continue sa vie modestement dans son atelier du Downtown Manhattan, où ses modèles y livrent un côté intimiste qui lui ressemble. Le livre de photos In my Room qui sera édité en 2017, offre vingt ans de ces clichés en noir et blanc, nus délicats, sans pudeur et pourtant d’une délicatesse rare. En 2013, Saul Leiter fait sa dernière pirouette et laisse la photographie poétique orpheline, même si son travail original est une source inépuisable d’inspiration. « Je suis un photographe à reculons. »

Parr RoxtheRoh
Journaliste Photographe

"Je dois à Saul Leiter d’être tombée amoureuse de New York. Son travail, ses compositions et sa poésie ont sans hésitation fortement influencé mon travail de photographe."

Rox the Roh journaliste photographe

Auteur de l'article :
RoxtheRho
Journaliste Photographe
https://twitter.com/RoxtheRoh

 

Au service de la photographie depuis 2001