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L'interview de Renaud Alouche

Le programme de cette édition anniversaire du Montreux Jazz Festival est construit comme un écho à l’épaisseur historique de la manifestation suisse.

Dense, vivante, cette 53ème édition se déroule du 28 juin au 13 juillet 2019... et la programmation met en avant une certaine forme d’éclectisme !

Parmi la foule d'artistes invités cette année, on compte un nombre non négligeable d'habitués des autres festivals, parmi lesquels : Sting, Janet Jackson, Tom Jones, Lauryn Hill, ZZ Top, Eddy de Pretto, Elton John, Melody Gardot, Rita Ora, Janelle Monae, Amadou et Mariam, Yann Tiersen, Ibeyi, George Ezra, Bon Iver, Chick Corea, Quincy Jones, Kimberose...

Renaud Alouche, Photographe officiel du Festival de Montreux et de la 39ème édition du Festival International de Piano de la Roque, en tant qu’ambassadeur pour les optiques Carl Zeiss, nous dévoile en textes et en images, la réalité autour de la photographie dans l’univers des festivals.

Bonjour Renaud,

• Racontez-nous votre parcours...

Je suis originaire d’Aix-en-Provence et vis actuellement à Lyon. J’ai étudié les métiers de la communication et du marketing en essayant de me diriger vers ma passion première qui est le spectacle vivant. Mes expériences professionnelles se sont donc naturellement tournées vers la Culture. J’ai lancé une association de management d’artistes en 2013, ce qui m’a amené à commencer la photographie pour illustrer ma communication.

• Comment êtes-vous devenu photographe officiel du Festival de Jazz de Montreux et du Festival International de Piano de la Roque ? Quand avez-vous choisi de faire carrière dans ce milieu ?

Photo Renaud Alouche

En 2015, j’étais chargé de la communication digitale pour le Festival Jazz à Vienne. J’avais un grand besoin en images et cette expérience m’a poussé à sortir mon premier reflex (Nikon D3100) pour établir chaque jour un report imagé des différents concerts prenant place sur le festival. Je n’avais alors aucune prétention photographique, juste des besoins en communication, mais les retours sur mes images ont été suffisamment bons pour que j’envisage de me mettre plus sérieusement à la photographie de concerts en montant progressivement en gamme chez Nikon.

Après avoir pris « le cliché » ce 11 juillet 2015, Shola Adissa Farrar m’a contacté pour qu’il devienne la couverture de son premier album. C’est à ce moment là que j’ai été convaincu de continuer la photographie.

Ce hobby que je pratiquais régulièrement dans les salles de Lyon a rapidement pris de l’ampleur, avant de devenir mon activité principale depuis un an, en passant sur un boitier Sony.
C’est à ce moment que j’ai contacté les festivals qui me tenaient à cœur pour avoir l’opportunité d’être photographe officiel.
Après 4 années à couvrir le festival Jazz à Vienne, son équivalent Suisse m’attirait : le Montreux Jazz Festival ! De renommée peu comparable, il propose chaque année, et cela depuis 53 ans une programmation de légende.

Puis, étant originaire d’Aix-en-Provence, le Festival International de Piano de la Roque a toujours été pour moi un événement incontournable de la musique classique.
J’ai donc contacté les deux festivals, s’étendant chacun sur plus de deux semaines, l’idée d’une longue immersion dans cet univers me tentait.

Je suis aujourd’hui, photographe officiel pour ces deux festivals, sur le même été, en y ajoutant un partenariat avec les optiques Carl Zeiss, pour tester le Batis 85mm f1.8 sur des scènes de concert.

• On peut dire que la musique et la photographie sont liées... l’Art et la montée des besoins en communication digitale sont indissociables de nos jours... qu’en pensez-vous ?

Complétement !
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours associé la musique à son image, que ce soit des photos de concerts légendaires, des couvertures d’album ou même des vidéos. Ces deux univers sont intimement liés.

Cliché de la fin du concert de BCUC - Photo Renaud Alouche

D’autant plus dans le monde du jazz où il existe beaucoup de codes sur scène et hors de scène, le photographe a donc l’occasion de capter des moments privilégiés.
On peut entendre et comprendre la musique sans avoir besoin d’une image, mais la visualiser à travers un autre œil permet d’entendre quelque chose de très diffèrent, c’est très complémentaire.

De plus, avec la montée en puissance des réseaux sociaux depuis plus de 10 ans, les artistes et festivals ont un besoin de communiquer en direct qui s’accroit, sans pour autant vouloir délaisser la qualité de l’image. C’est à ce niveau que les photographes et vidéastes ont été obligés de se réinventer et de proposer des clichés de qualité en un temps limité.

Il me paraît impossible aujourd’hui pour un festival ou une salle, de proposer une programmation, et de ne pas diffuser au moins une image de la représentation, au plus tard le lendemain matin de celle-ci sur les réseaux sociaux. Il est donc difficile de dissocier les deux.

• Comment s’organise votre travail tout au long du festival ? Vous passez vos journées et vos nuits en compagnie de musiciens qui font la fête. Comment gardez-vous votre concentration ? Vous laissez-vous porter par l’événement ?

Chaque photographe a sa propre approche quant à son organisation, en l’occurrence sur un festival qui dure deux semaines, cette dernière doit être bien rodée si on veut tenir sur la longueur.

De mon côté, j’essaye de rentrer très vite dans une routine, un festival c’est beaucoup d’émotions, d’instants inattendus, de moments de rush … qu’il est primordial de pouvoir se rattacher à un fil conducteur à n’importe quel moment.

C’est un privilège que de pouvoir partager une telle expérience avec l’intégralité du staff et des musiciens, tout en vivant sa passion de photographe. Cependant, pour réussir à respecter les délais, notamment pour les besoins en communication, il faut réussir à garder la tête sur les épaules qu’il soit 14h ou 6h du matin.
Il est facile de se laisser emporter par l’effervescence d’un tel événement, mais pour en profiter au mieux chaque soir, j’ai appris à m’en tenir à la routine.

renaud alouche 3

Avec un peu de patience et de calme, j’arrive davantage à me concentrer pour optimiser ma prise de vue, comme pendant le concert de Slash à Montreux le 1er juillet 2019, où ça partait dans tous les sens, et où, il a fallu rapidement, se poser au bon endroit pour attendre que le Guitarhero entre dans le cadre.

Niveau organisation pratique, chaque photographe à une feuille de route chaque jour pour les concerts incontournables à couvrir, avec un retour au bureau pour trier et envoyer les photos à la fin de chaque show. S’il reste du temps libre après ça, c’est le moment de profiter un peu des artistes présents sur les différentes scènes.

• L'éclairage doit être un peu compliqué dans ce genre de festivités. Connaissez-vous une technique simple et infaillible pour prendre de bonnes photos de ces événements ?

Théoriquement, plus le festival est de grande envergure, plus l’équipement lumière est de qualité, mais notre métier est en effet très en lien avec le travail des ingénieurs lumière.

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D’une scène à l’autre, ça peut être le jour et la nuit, on doit alors s’adapter au plus vite, n’ayant le plus souvent qu’une dizaine de minutes pour shooter chaque concert.

Je doute qu’il existe une technique infaillible pour palier à un mauvais éclairage, mais plusieurs habitudes se mettent en place très vite pour s’adapter aux éclairages, en trouvant des spots différents qui offrent un angle de vue nouveau, et permet de composer une image avec les moyens du bord.

Comme sur ce cliché du groupe Festen, le 1er juillet 2019, sur la petite scène de La Coupole à Montreux, où j’ai dû m’aider de miroirs pour cadrer et illuminer ma photo.

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Sur un festival comme le Montreux Jazz, il est rare d’avoir un éclairage vraiment mauvais, sauf quelques exceptions dans des soirées en club. A ce moment-là, il ne reste plus qu’à faire des photos d’ambiance, comme sur ce cliché pendant le dj set de Feldermelder au Liszto Club, le 28 juin 2019.

• Avez-vous d'autres projets en cours ?

Je reste actif en tant que chargé de communication digitale et essaye de concilier au mieux ces deux activités.

De plus, j’ai une exposition photo nommée « Au-delà du jazz » qui a été exposée au Ninkasi et au Hot Club de Lyon, et qui est actuellement en loges du festival Jazz à Vienne.

Mon activité de vidéaste me permet aussi d’approcher le travail de l’image avec un autre œil, effectuant quelques teasers ou vidéos promotionnelles touristiques.

Enfin, je continue depuis quelques années une série photographique de body-projection, en attendant de lui trouver un message pour en faire une exposition.

Pour le reste, je suis toujours en recherche de nouveaux projets qui pourraient élargir mon champ de vision.

• Quelle est la meilleure histoire associée à une photo que vous avez prise, lors de ces festivités ?

Avec seulement 4 années de festivals à mon actif, j’ai déjà un millier d’anecdotes à raconter. Ces événements sont un brassage émotionnel et sont d’une intensité incomparable.

Si je devais en raconter une seule, ça serait celle autour de la photo de Shabaka Hutchings prise le 1er juillet 2016 sur la scène du Jazzmix de Jazz à Vienne pendant le concert de Sons of Kemet.

Avec un ami photographe, nous avions lancé un jeu de couvrir un concert uniquement en argentique. Je suis donc arrivé devant la scène avec mon Foca Sport 2 et une pellicule noire et blanche de 36 prises. Le concert était exceptionnel et la pellicule s’est vidée en quelques dizaines de minutes.

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C’était sans compter sur un rappel légendaire effectué par le saxophoniste anglais sur la ballade « Rivers of Babylon » où il est revenu du backstage devant mes yeux en jouant sans micro. Le moment était tellement beau que j’ai voulu le capturer avec mon numérique par acquis de conscience.

Quelques jours plus tard, mon labo photo m’annonce que la pellicule est cramée, et aucune photo n’est récupérable. Je trie alors celles prises avec mon Nikon D7100 et publie celle-ci, qui depuis, a trouvé sa place dans le dossier de presse du groupe, et est devenue l’affiche du festival Jazz Fest 2017.

• Quels sont les inconvénients possibles à ce travail photographique festivalier ?

Globalement, la situation de photographe en France est précaire, la reconnaissance du travail se perd, et le fait d’effectuer un métier-passion donne souvent une excuse aux gens pour baisser les rémunérations.

Il faut donc trouver dans cet ensemble l’équilibre entre la stabilité financière et le fait de conserver une majorité de contrats « plaisants ».

C’est pourquoi, je suis très reconnaissant de pouvoir travailler au Montreux Jazz Festival et au Festival International de Piano de la Roque cet été. Ce ce sont des structures qui emploient réellement leurs photographes et permettent de valoriser leur travail.

Egalement d’envisager des partenariats avec des marques, comme c’est le cas cette année avec les optiques Zeiss pour ma part, qui m’ont fourni un Batis 85mm 1.8 pour la saison estivale.

Plus spécifiquement, la photographie de festival est une expérience unique, faite de moments magiques et d’émotions brutes. La contrainte de cette condition reste comme pour tous les festivaliers, de savoir oublier le temps. Les horaires et la logique pour plonger en immersion complète dans l’événement et son maelstrom de concerts.

Le manque de sommeil et le décalage avec la réalité extérieure, pendant 15 jours, ne peuvent pas entacher le bonheur ressenti quand on arrive devant un artiste que l’on adore, et que l’on parvient à capturer l’image qui transpire l’émotion d’un live.

C’est principalement cette émotion qui nourrit mes photographies depuis plus de 4 ans, et tant que je la ressentirai, je n’arrêterai pas de déclencher !

 

Merci à vous, Renaud, pour ce moment de partage, dans le cadre idyllique de la région merveilleuse de Montreux, où la musique se vit partout !

INTERVIEW REALISEE PAR STEPHANIE DEVISSCHER

stephanie devisscher 2Stéphanie DEVISSCHER
Rédactrice Web/Print indépendante
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Au service de la photographie depuis 2001