Le National Geographic

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Le National Geographic


Par : Alain Rio


De National Geographic et de la photographie


Il y a des mythes pour tout homme. Pour le photographe amateur ou professionnel, entrer dans le cercle fermé des photographes de National Geographic, en constitue finalement un bien compréhensible : quel reportage offre-t-il une meilleure référence, une meilleure carte de visite qu'une publication dans le prestigieux magazine ? Je ne vous cache pas que dans un tiroir bien inaccessible de mes rêves, se glisse l'espoir de pouvoir un jour y publier un article. Fantasme ? Mythomanie ? Fantaisie illusoire ? Délire ? Sans que la question me hante, j'ai décidé d'utiliser cette chronique pour tenter une expédition dans le monde fascinant de l'histoire de la photographie au sein de National Geographic, pour vous la faire partager, et aussi peut-être, démystifier ma propre perception de ce qui, dans le monde des magazines, apparaît comme un modèle de qualité et de sérieux. Je vous propose de m'accompagner dans cette aventure, mais vous invite à rester en alerte car le thème est si ample que je vous épargnerai souvent involontairement des informations cruciales. N'hésitez pas à la parsemer de vos remarques, à la poursuivre éventuellement en ajoutant des balises qui guideront nos poursuivants.


photographieQue voit-on au premier abord ? Une institution dont la revue affiche 9 millions d'abonnés et 40 millions de lecteurs dans 164 pays ! Ses photographes prennent annuellement 1 million de clichés! A cela, s'ajoute l'édition de près de 70 livres par an, d'atlas, de cartes géographiques, de vidéos, cd-rom, de programmes télévisés, l'organisation de cours, de conférences, et même d'une chaîne de télévision " National geographic channel " qui compte plus de 130 millions d'abonnés dans le monde. Tout ceci permet un chiffre d'affaires de plus d'un demi milliard de dollars. De quoi donner le vertige… En comparaison, Géo Magazine excellemment bien placé dans le marché éditorial tourne à 5 millions de lecteurs pour 350 000 abonnés… CDB Bryan, dans son livre " le National Geographic " paru en 1988, année de la commémoration du centenaire de la National Geographic Society, réédité avec deux chapitres supplémentaires en 1998, explique cette " success story " par divers arguments : des moyens gigantesques qui permettent, entre autres, d'envoyer plusieurs mois un photographe pour ausculter une région du monde ou d'arrêter une rotative pour une virgule mal placée, mais surtout, par le désir de montrer avec le plus grand sérieux et à l'aide de photographies d'une qualité esthétique exceptionnelle, la géographie du monde sans parler de ses tourments. Pour essayer de comprendre comment la National Geographic Society, éditrice du magazine, en est arrivée à être la plus grande institution géographique et éducative du monde, il nous faut remonter en amont le cours de l'histoire. La " Society " à but non lucratif est fondée le 13 janvier 1888 par trente-trois personnes d'âge avancé dont Gaston Bell, l'inventeur du téléphone, pour promouvoir " le développement et la diffusion de la connaissance géographique ". Sous la première présidence de Gardiner Greene Hubbard, le magazine fut d'abord publié de manière irrégulière, et n'était en rien attractif. Les récits courts et très techniques étaient consacrés principalement à la géologie, la météorologie, l'océanographie, et l'histoire des explorations. En 1896 seulement, la publication devint mensuelle. En 1898 Bell devint président. Il s'attacha à développer le nombre d'adhérents et nomma un jeune professeur de 23 ans ambitieux et talentueux, Gilbert H. Grosvenor, qui non seulement allait se marier avec sa fille, mais constituer avec lui la dynastie qui depuis lors dirige la " Society ". Les transformations apportées par Bell et Grosvenor (président de 1920 à 1954) furent très opérantes : sous l'impulsion de ce dernier, les thèmes furent plus ouverts et écrits dans un style des plus attrayants. Aussi, la photographie y entra comme une arme maîtresse de vente et de prestige. Des mots mêmes de G.H. Grosvenor glissés aux oreilles d'un de ses recruteurs, " la vie du magazine dépend de la possibilité de photographies chaque fois meilleures ", au point qu'aujourd'hui, 75% de l'espace du magazine est constitué de photographies. Observez : en 1908, les photos occupaient déjà 50% de l'espace du magazine. Dès 1910 sont publiées les premières photos en couleur (procédé des plaques de couleur), avant d'être pionnier en couleur naturelle en 1916. En 1926, le photographe N.G Charles Martin et le chercheur W.H Longley réalisent les premières photographies sous-marines en couleur. photographieDès 1930, Melville Bell Grosvenor, fils de G.H Grosvenor, publie les premières photos aériennes en couleur. En 1962, sort des presses le premier magazine tout en couleur. Cependant, la réputation et la valeur du magazine ne seraient pas si élevées si la " Society " n'avait pas financé des expéditions et projets qui lui ont donné ses lettres de noblesse : Découverte du mont Saint-Alias en Alaska et du mont Logan, plus haut sommet du Canada par une expédition de National Geographic Cartographie en 1890-91. Robert E. Peary atteint le pôle nord le 6 avril 1909 grâce au soutien de la " Society ". Dès 1952, Jacques-Yves Cousteau publie dans le magazine un des articles relatant ses découvertes de l'univers sous-marin. En 1963, les premiers américains arrivent au sommet de l'Everest avec le soutien de National Geographic. 1967 est l'année du départ de Dian Fossey pour le Rwanda afin de réaliser une étude de long terme sur les gorilles de montagne. Cette page de l'histoire, rendue possible par l'institution, sera plus largement connue avec la diffusion du film " Gorilles dans la brume " avec Sigourney Weaver. Découverte de l'épave du Titanic en 1985 par Robert Ballard, etc… CDB Bryan, cité plus haut, relève cependant que la Geographic est très conservatrice, puritaine et moraliste. L'un des exemples de cette caractéristique, peut-être, est le peu de place laissé aux femmes dans la hiérarchie et le personnel de photographes de l'institution (lire à ce titre le très bel ouvrage de Cathy Newman : "Women photographers at National Geographic"). Mais plus que tout, le magazine impose " les bonnes manières et une certaine indifférence à l'égard des misères du monde ", voire " un monde couleur rose bonbon ". L'auteur rappelle à ce titre que, par souci de respecter le sixième point de la chartre rédactionnelle selon laquelle " on ne doit publier que des choses favorables aux pays et aux gens ", un article de 1937 fut très ambigu et sujet à de fortes critiques. Il affirmait en effet de la manière la plus sidérante à propos de l'Allemagne Nazie que " la politique du gouvernement actuel vise à développer le corps et l'esprit des filles et des garçons afin de consolider une race capable de défendre l'Allemagne à venir "… Toutefois, il semble que depuis les années 70, National Geographic s'investisse un peu plus dans la dénonciation des grandes injustices, et dans un combat pour la sauvegarde de l'environnement. Il ne faut néanmoins pas s'attendre à voir publiées, dans le précieux magazine, des photos montrant trop directement les souffrances du monde. Les photos de Jodi Cobb illustrent assez bien cette évolution. Depuis qu'elle a commencé à travailler comme photographe à temps complet pour le magazine en 1978, elle s'est attachée à montrer, tout en préservant l'esthétisme imposé par la maison, des aspects de la vie et des coutumes (surtout en Asie et au Moyen-Orient) où la dignité humaine est gravement mise en péril (voir à ce titre l'un de ses derniers reportages : " les esclaves du 21ème siècle "). Le " navire " National Geographic voit et a vu tant de photographes de grand renom passer à son bord qu'il serait illusoire de vouloir en dresser une liste exhaustive et sérieuse. Margaret Bourke-White, Ella Mallart, parmi les plus fameuses, imposèrent leurs regards dans les années 20 dans ce monde enclin à un certain machisme. L'actuel rédacteur en chef Chris Johns est un symbole du photographe à succès fabrication maison. Pendant 17 années, il a photographié pour le magazine, offrant au monde une documentation importante sur les espèces animales africaines en voie de disparition. Amoureux du continent noir où il puise, dit-il, son énergie. Il y a consacré 7 des 20 reportages réalisés pour la " Society ". Lire la biographie ou les interviews de ces photographes privilégiés nous fait rentrer dans un monde d'aventures humaines, technologiques et de découvertes fascinant. Je vous invite à chercher sur le web ou dans les bibliothèques et les bonnes librairies, si la question vous intéresse, des informations sur Bruce Dale, David Alan Harvey, Jean-Claude Coutausse, David Doubilet, Jonathan Blair, Karen Ducey, Alex Webb et Steve Mc Curry, ce dernier étant l'auteur de la photo hautement symbolique de la jeune fille afghane de 1984. Il la retrouvera 18 ans plus tard au terme d'une expédition menée par une équipe de l'institution, et elle acceptera, avec l'accord de son mari, d'être à nouveau photographiée par le même photographe. Cette promenade dans le monde particulier des photographes du magazine vous fera connaître des histoires qui, d'une certaine manière, entretiennent le rêve de l'aventure à l'américaine, avec son lot de blessures, dangers, bravoures. Vous y verrez de fort belles images aussi ! Vous pouvez imaginer qu'en cherchant ces informations je me suis demandé ce qui, dans les critères de sélection des photographes, contribue à cette qualité. Et justement, un service du magazine répondant à ma demande d'information sur son histoire, m'expliqua " comment devenir photographe National Geographic ". On exige vraiment beaucoup du candidat : qu'il ait en poche des diplômes universitaires dans différents domaines (journalisme, anthropologie, sociologie, psychologie, étude des arts ou sciences naturelles). Qu'il ait aussi un regard de photographe pouvant être décrit comme le style Magnum classique. Le nombre et la qualité des candidats sont tels, que la revue se permet en plus d'exiger de ses futurs photographes 5 à 10 années d'expérience comme photographes de publications journalistiques ou dans des revues spécialisées sur la vie sauvage, la vie sous-marine, ou la photographie aérienne. Un détail important ajoute à la réputation de sérieux et de fiabilité du magazine : chaque article, avant publication, est disséqué, étrillé par une équipe de spécialistes qui se font un point d'honneur à ne laisser aucune information fausse ou erronée s'y glisser.


photographieAu terme de cette recherche, peut-être devrions-nous réfléchir et nous questionner de manière générale sur l'avenir de ce type de photojournalisme. Je ne prétends pas qu'il y a péril dans la demeure de la prestigieuse institution. Cependant le photojournalisme, après une époque fort glorieuse, connaît depuis dix ans des changements profonds du fait des grands bouleversements industriels, techniques et culturels dans le secteur de l'image de presse. La situation des photographes et des agences de presse est de plus en plus précaire ou instable. Pour rappel, et à titre d'exemple, les grandes agences Gamma, Sygma, Sipa ont perdu leur autonomie pendant cette ultime période au profit de banques d'images américaines comme Corbis ou Getty. Alors, y a-t-il moyen pour National Geographic et les autres magazines proposant des reportages de qualité de résister à l'arrivée des photos d'amateurs (très bon marché) dans la presse, à la baisse d'influence de la grande actualité en images au profit des photos d'illustration ? Le statut du photographe, magnifié pendant " l'âge d'or du photojournalisme " des année 70-90 (terme utilisé par Hubert Henrotte, fondateur de Gamma et Sygma) ayant permis aux professionnels de l'image de bien vivre et d'exercer leur profession sans avoir à subir la pression de la crainte du lendemain est-il lui aussi à reléguer au passé ? Peut-être que l'un des éléments de réponse réside dans l'obligation pour ces revues de proposer des articles d'une qualité inégalable dont le public exigeant sera toujours friand. Si ceci est la marche à suivre, l'avenir immédiat du magazine National Geographic n'est pas menacé, ni même celui de ses photographes…


Sources :


Livres, revues et articles :

-"Women photographers at National Geographic" de Cathy Newman publié par National Geographic

- "La famille éclatée et mal-aimée des photographes voyageurs" de Michel Guerrin, paru dans " Le Monde " du 29 mai 1999.

-"La jeune fille afghane" de Martine Delahaye, paru dans " Le Monde " du 23 mars 2002.

-"La famille éclatée et mal-aimée des photographes voyageurs" de Michel Guerrin, paru dans " Le Monde " du 29 mai 1999.

-"Le monde couleur rose bonbon" de Michel Guerrin, paru dans " Le Monde " du11 mai 1997.

-"Les merveilles du " National Geographic " d'Alain Constant , paru dans " Le Monde " du 11 fevrier.01.

-"Photojournalisme en péril " de Michel Guerrin , paru dans " Le Monde " 11 novembre 2005.


Sur le net :

-http://www.backfocus.info/
-http://www.trivia-library.com/
-http://www.ngcfrance.tv/
-http://www.nationalgeographic.com


Pour en savoir plus sur l'auteur de cette rubrique :


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Blog : http://noravr.blog.lemonde.fr/
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